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Méneu d’kévau.Les chevaux des mines (1).

D 7 octobre 2012     H 22:34     A Traitgenevois     C 0 messages


A Raymond Caron.
 
" Je suis descendu à la fosse Bonnel. Dans la cage on se tenait debout. J’ai dévalé avec mon voisin qui était délégué et qui, comme moi, habitait le Coron du Nouveau Monde à Lallaing. J’étais le plus jeune dans la cage : les autres mineurs m’ont regardé en souriant mais j’ai été bien accueilli. Au fond, ce ne fut pas la même chose. Les vieux mineurs ne m’ont pas facilité la tâche. Pour ma première descente, je n’ai pas eu peur : je savais avant de dévaler ce que c’était."
 
"J’ai tout de suite été "hercheur à la trappe". le charbon descendait de la taille, j’ouvrais la trappe : c’étaient trois esclimpes (bâtons) et le charbon tombait dans la berline. On enlevait les trois bâtons l’un après l’autre. J’ai fait ça pendant deux ans, de 14 à 16 ans."
 
"Ensuite j’ai été "méneu d’ kévau". On avait le même cheval. Y en avait des bons. Y en avait un qu’on appelait Boxeur car, au lieu de ruer, il tapait des pattes de devant.
Les berlines déraillaient souvent : il fallait les remettre sur les rails avec une queue ou à l’épaule.
Le cheval Cartouche comptait les barous (berlines) qu’on lui faisait tirer. S’il y en avait trop, il s’arrêtait"
 
Ainsi s’exprimait Raymond Caron, mineur descendu au fond en 1946, le jour de ses 14 ans, sans l’avis de son père. La fosse Bonnel,où il travaillait, était située dans le Nord non loin de Douai.
Cette fosse appartenait à la Compagnie des mines d’Aniche jusqu’à sa nationalisation en 1946.
 
 
© Collection Yves Paquette.
Cheval dans une galerie dans le puits du Magny à Montceaux les mines. 
 
Au 19ème siècle les jeunes enfants travaillent au fond de la mine. Ils sont âgés de10 ans selon le décret de 1813 (pas respecté). Des enfants de 7/8 ans descendront travailler dans les galeries des mines. Il faudra attendre 1945 pour que l’âge des jeunes qui vont au fond soit fixé 15 ans. Mais une fois encore cette loi ne sera pas toujours respectée.
 
A quelles tâches ces jeunes sont ils astreints ?
Tout sauf l’abattage du charbon. Les principales fonctions seront trapper ou portier, éclaireur, porteur de lampe, chargé du ventilateur, hercheur (celui qui évacue le charbon produit) et meneurs de chevaux (mèneu de kévau).
 
Le cheval remplaçait le hercheur, qui poussait les berlines, là où la hauteur des galeries lui permettait de les tirer.
 
Selon les lieux et les époques,leur conduite était souvent confiée à des enfants,à de jeunes adolescents ou à de vieux mineurs.
 
L’un de ces enfants, voyant un jour l’ ingénieur de la fosse entrer dans l’écurie s’écrie :
"Ah non ! alors ichi ché pas ché vous ! Ichi ché à mi. Ché min kévau qui est là"
 
Ce travail n’était pas si facile. Beaucoup n’avaient jamais mené de cheval.
Si la conduite du cheval n’est pas pénible en soi, il faut cependant être bon marcheur.
Toute la journée le meneur fait l’aller retour entre la taille et l’accrochage. Le cheval s’arrête à chaque porte d’aérage : il faut l’ouvrir, laisser passer le convoi, la refermer et courir pour remonter le long du convoi de berlines pour rattraper le cheval en tête.
 
Ecoutons encore ce mineur descendu au fond à 15 ans.
Il occupe divers postes d’abord en surface à sa sortie de l’école à 14 ans puis au fond 1 an plus tard.
"...Ensuite j’ai été méneu d’kévau. J’ai eu à conduire 2 chevaux : un petit, Colibri qui tirait 7 berlines et un grand, Battor, qui tirait 12 à 15 balles (berlines). Pour Colibri on m’avait dit "Tu mets 8 balles, pas plus. Si tu en mets 10 , y démarra pas" . Quand on avait fini sa journée, on dételait le cheval et il retournait tout seul à l’écurie. Il connaissait le chemin."
 
Le travail est pénible et dangereux. En fin de journée les gamins sont tentés, bien que ce soit interdit, de monter sur les berlines pour éviter de marcher. De nouveau, laissons la parole à ce mineur :
 
© Collection Yves Paquette.

Le galibot assis sur la berline était passible, en 1938, d’une amende de l’ordre de 0f50.

 
" Un de mes camarades méneu d’kévau a été blessé. Il était monté sur une berline pleine du convoi ; à une porte, il ne s’est pas baissé et a heurté de la tête un collet de fer retenant un tuyau d’air comprimé."
 
Il faut se rendre compte des conditions qui règnent au fond pour ces meneurs : la relative obscurité et les traverses de la voie sont autant d’obstacles à la marche. La température est élevée et il règne une forte humidité dans les galeries. Si une berline déraille il faut la remettre sur les rails. Le gamin se trouve la plupart du temps seul et gare en cas d’accident.
 
Un délégué mineur s’élève contre cet état de choses.
"On confie à des enfants des travaux au dessus de leurs forces : remettre sur les rails une berline qui a déraillé en la soulevant par le crochet ou en faisant levier est très pénible surtout pour des gamins de 14-15 ans"
 
Le terme méneu d’kévaux ( ou méneu d’quévaux , l’orthographe varie) s’employait dans le nord de la France. Nous verrons plus loin que le nom de ces meneurs variait selon les régions.
 
Qui étaient ces enfants, ces femmes et ces hommes qui travaillaient dans les mines ?
Quels étaient leurs chevaux et quels liens entretenaient-ils avec eux ?
Quels matériels étaient utilisés ?
Quels métiers s’organisaient autour d’eux ?
 
C’est à ces question et à quelques autres que nous essayerons de répondre dans cette série de petits articles que nous allons consacrer aux chevaux des mines.
 
Poème sur la deuxième carte postale.
 
L’quévaux au fond d’el fosse
Est courageux et bon,
Derrière li, l’long dé s’posse
Saque seiz ’berlines d’carbon
 
Poème du poète Mineur A. Lucas, de Lens.
 
A suivre...
 
Source :
Les informations et témoignages ci-dessus sont extraits d’une étude de Roland Stiévenard : "La vie et le travail des enfants et des adolescents dans les mines", éditée par le Cercle Historique du Val de Scarpe-2007.
 
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