Traits en Savoie
Vous êtes ici : Accueil » Patrimoine » Les chevaux des mines. » De la lumière à l’obscurité. Les chevaux des mines (11).

De la lumière à l’obscurité. Les chevaux des mines (11).

D 1er mai 2013     H 11:38     A Traitgenevois     C 0 messages


Le cheval de mine est généralement acheté à un âge qui varie de 5 à 6 ans, rarement au delà de 8 ans.
A l’acquisition des chevaux il est convenu d’un délai de garantie qui s’étale de 8 jours à un mois selon les compagnies.
Après son achat le cheval qui ne convient pas pourra être rendu à son propriétaire (Photo 11).
Avant sa descente dans la mine le cheval aura été testé en surface après une mise en quarantaine afin de ne pas propager d’épidémie. Il sera entrainé à la traction en tirant les berlines en surface.Il finira sa préparation par les manœuvres de gare.
 
Ensuite il faudra lui faire gagner les galeries du fond par des moyens qui dépendront de la manière dont se font les accès à la taille.
 Là où il faut descendre par les puits, il existe deux moyens : au filet ou par les cages.
 
La descente des chevaux marque les esprits. Elle sert ici, enjolivée, à la publicité pour un chocolat.© Collection Yves Paquette.
 
"Ces animaux sont introduits dans la mine de la manière suivante. On place sur le cheval un filet de cordes qui l’enveloppe de manière à ce qu’il soit assis sur sa croupe lorsque le filet sera suspendu par ses cordes principales au câble du puits. Après lui avoir bouché les yeux on attache à ses pieds des manchons en cuir garnis d’anneaux. On fait passer une corde dans ces quatre anneaux et on la tire brusquement de manière à étourdir le cheval et à le faire tomber sur un lit de paille. Alors les pieds étant réunis et étant liés ainsi que la tête aux cordes principales du filet on attache celles ci au câble du puits et le cheval descend jusqu’à la recette où il est recueilli Au besoin on le remonte de la même manière " (1)
 
Cette description qui date de 1836 donne une idée de la manière "à la dure" qui était employée pour descendre les chevaux aux débuts de leur utilisation dans les puits des mines.
 
Sur cet autre dessin, déjà plus réaliste, l’inquiétude sinon l’effroi peut se lire dans la physionomie du cheval. Par contre l’artiste lui conserve ses œillères et son mors. © Collection Yves Paquette.
 
D’autres descriptions sont un moins brutales mais dans tous ces cas le cheval va faire la descente entravé, très souvent suspendu sous la cage.
Bien que la vitesse de descente soit réduite lors de ce transport, il arrive que le cheval meurt durant cette épreuve, suite à un stress trop violent.
 
© Collection Yves Paquette.
Huit à neuf hommes sont nécessaires pour mener à bien cette manière de faire.
Si les hommes qui pratiquent cette méthode ne sont pas bien entrainés et habiles les conséquences peuvent être catastrophiques pour les chevaux ( fractures, contusions...). L’arrivée est de nouveau un moment délicat puisqu’il s’agit de remettre le cheval sur ses pieds. Or dès qu’il est au fond, le cheval s’efforce de se relever avec des mouvements violents qui parfois le blesse ou blessent les mineurs chargés d’enlever ses liens.
Mine de lignite de Sablay dans l’Ain. Exploitation abandonnée en 1903.© Collection Yves Paquette.
Tous les chevaux ne sont pas logés à la même enseigne. Les accès aux galeries peuvent aussi se faire par des pentes douces. C’est le cas à La Mure et dans les mines de fer de Lorraine par exemple.
Dans la Ruhr (Allemagne), dans la mine du Hagenbeck, les chevaux descendent le matin et remontent à midi pour être remplacés par d’autres chevaux après huit heures au fond.(2)
 
 
Montceau-les-Mines .© Collection Yves Paquette.
 
Dès que la taille des cages le permettra, les chevaux descendront par ce moyen.
C’est finalement l’équipement des fosses qui déterminera les moyens employés pour la descente des chevaux.
La descente dans des cages est signalée très tôt, par exemple en Belgique.
Des cages spéciales pour les chevaux sont explicitement désignées comme moyen de descente dans un article paru à Charleroi en 1856 .(3)
A.T. Ponson décrit ces cages : " Le mineur belge prévient ces accidents (à l’arrivée. Ndlr.) par l’emploi d un coffre en bois ou mieux en tôles de fer rivées sur un squelette de même métal. Les parois formant les petits côtés s’ouvrent entièrement et donnent passage au cheval qui pénètre par l’une des deux portes et trouve sur la porte opposée une échancrure dans laquelle se loge son poitrail ce qui permet de conserver à l’appareil une hauteur suffisante. Celui ci ayant ses quatre faces renflées vers le milieu de leur hauteur ou pourvues d appendices en tôles courbées ne peut s’accrocher aux parois du puits. La caisse attachée au câble d’extraction par quatre chaînes parvient à sa destination la porte s’ouvre et le cheval sort sans que ses pieds aient cessé un instant de rester en contact avec un support solide et par conséquent sans qu’il ait fait un seul mouvement. Ses yeux sont également couverts et un ouvrier placé sur lui dirige le vase pendant sa descente."
 
Ces différentes manières de faire ne sont pas sans incidence sur le bien- être des équidés.
Au vu de la difficulté de la descente au filet, il semble malheureusement évident que les chevaux ainsi amenés au fond vont y rester, dans la majorité des cas, pendant la totalité de leur vie dans les galeries. Tout au plus les remontra t-on en cas de maladie et si c’est vraiment indispensable, car il faudra employer bien évidemment le même moyen de transport pour sortir.
C’est donc, la plupart du temps, vieux et usés qu’ils remonteront au jour.
 

Nous avons vu qu’en 1856 des dispositifs spéciaux étaient déjà employés en Belgique pour la descente des chevaux.
E. Boissier fait mention dans son ouvrage de 1895 de descente de chevaux par les cages d’extraction dans le bassin d’Alès.

Mais c’est surtout à partir d’environ 1920 que la taille des cages permet le transport des équidés.Leur situation change et les chevaux peuvent être plus facilement ramenés à la surface.
"La fosse Delloye, dans le Nord, comptait une trentaine de chevaux. Grâce aux cages. Un tiers de leur effectif remontait le samedi pour redescendre le lundi. Chaque bête revoyait donc le jour une à deux fois par mois, l’objectif étant de les maintenir en bonne forme. Les chevaux faisaient partie du capital de la compagnie" Témoignage de Jean Jedrejeweski.(4).
 
 
Quant à ceux employés dans des mines dont les accès se font par des pentes, ils pouvaient, encore que ça ne soit pas une généralité, retrouver leurs écuries de surface tous les soirs.
 
 
Alors, aveugles ou pas les chevaux des mines ?
Les écrits et témoignages divergent. Difficile de faire le tri entre la légende, qui se transmet au fil des ans sans être vérifiée, et la réalité.
Germinal, de Zola, y est peut-être pour quelque chose.
A propos des chevaux, A.T. Ponson relève, dans son Traité sur l’exploitation des mines, qu’ils "sont souvent atteint de cécité" sans donner plus de précisions.

 

Il faut peut-être une nouvelle fois chercher l’explication en fonction de l’époque à laquelle se rapporte le témoignage.
Au début de la mine les chevaux remontaient rarement et donc avaient passé plus de temps au fond.
Les risques qu’ils aient contracté une maladie aux yeux ou subi un accident s’en trouvent aggravés. Les chocs sur les parois, les portes ou les soutènements sont majoritairement les causes d’accidents aux yeux.
La poussière sera à la source de la plupart des maladies de la vue. qui peuvent entrainer la cécité.
Il est aussi possible que ce long temps passé au fond nécessitât une acclimatation lente à la lumière une fois les équidés revenus en surface.
 
Plus tard, avec l’utilisation des cages, la rotation fond/surface s’accélère et le retour au jour devient plus facile.
Les soins apportés aux équidés sont plus performants et les maladies des yeux mieux traitées.
 
La remontée des chevaux se faisait suivant des protocoles assez précis. Selon le temps passé dans l’obscurité des galeries, il faudra les réhabituer doucement à la lumière. Pour ce faire des tissus leur sont mis devant les yeux. Tissus qui seront progressivement enlevés. Ils seront gardés dans des écuries au vitres teintées de bleu pour filtrer la lumière. (4) Mais d’autres témoignages parlent seulement de quelques minutes de réadaptation.
 
Nous nous retrouvons tout de même assez loin des chevaux de la légende, qui ne remontent jamais et qui sont quasi tous aveugles.
Un des argument qui milite contre le mythe des chevaux aveugles est le peu d’études consacrées à ce sujet par les vétérinaires, du moins à partir de la fin du 19ème siècle et du début du 20ème. Dans leurs ouvrages respectifs, Boisier et Deleau n’en parlent pas dans les chapitres consacrés aux maladies.
Une enquête allemande sur le sujet,mais pas assez documentée, relève un taux d’un peu plus 5% de chevaux des mines atteints de cécité par accident.
 
Comme il sera dit dans un autre article, les problèmes de cécité n’étaient malheureusement pas les seuls problèmes de santé auxquels les chevaux étaient confrontés.



 
 
A propos des cartes postales.
 Si le lieu de prise de vue ne pose pas de problème pour certaines cartes, il n’en est pas de même pour d’autres. Voici ce qu’en dit Sylvain Post dans son ouvrage déjà cité :
"...Le début du 20ème siècle est l’âge d’or de la carte postale. Chaque buraliste peut éditer ses propres séries. D’où une diversité de styles qui correspondent à une tendance, à une époque. Une difficulté survient quand une même photographie est attribuée à plusieurs mines à la fois. On trouve ainsi le même personnage à Montceau-les-Mines, Saint-Etienne et Firminy, au risque de faire croire qu’il s’agisse d’une équipe itinérante..." (4)
 
Descente d’un cheval à Firminy. Carte postée à Firminy probablement en 1908. © Collection Yves Paquette.
Descente d’un cheval à St Etienne. C’est exactement la même vue que ci-dessus. © Collection Yves Paquette.
On retrouve le même mineur à gauche, mais à Montceau-les-Mines à présent. La photo a été prise en 1901 lors de la grève. Une troupe qui s’éleva jusqu’à 25 000 soldats fut déployée à Montceau de janvier à mai 1901. Elle avait été envoyée pour contrôler le carreau de la mine. Ce renseignement laisse à penser que les photos ont donc été faites à Montceau. La carte a été postée à Montceau en 1906. © Collection Yves Paquette.
 
 
Photo prise à St Etienne ....© Collection Yves Paquette.
...ou à Montceau-les-Mines. © Collection Yves Paquette.
 
Il convient donc d’être prudent avec la localisation des prises de vue en l’absence d’éléments indiscutables sur les lieux.
 
 


A suivre.
 
(1)Sur le transport intérieur dans les mines de houille de Saint Etienne et de Rive de Gier Par M GERVOY Ingénieur des mines MÉMOIRE
Annales DES MINES RECUEIL DE MÉMOIRES SUR L EXPLOITATION DES MINES PARIS CHEZ CAR1LIAN GOEURY ÉDITEUR Ï IBRAIRE 1836
(2) Traité de l’exploitation des mines de houille. Ami Théodore Ponson, Jules Ponson. Jules Baudry éditeur. 1870
(3) Annales des travaux publics de Belgique. Bruxelles 1857-1858.
 (4) D’après le livre "Les chevaux de mine retrouvés" de Sylvain Post (avec la participation du docteur Pascale Kientz-Lahner et de Jacques Urek), disponible en libraire, sur commande aux Ed. De Borée Diffusion.
 
 Reproduction des photos et textes strictement interdite sans autorisation.

Les cartes postales du portfolio sont issues de la collection de Mr Yves Paquette.

Portfolio

  • 01 . Préparation d'un cheval en vue de sa descente dans la mine. Le (...)
  • 02 . A présent le cheval a été équipé avec les lourdes courroies qui vont (...)
  • 03 . Le cheval est masqué et une litière de paille est préparée afin de le (...)
  • 04 . Le cheval est à présent couché sur le flanc. Ses membres ont été (...)
  • 05 . Les courroies sont alors serrées . Parfois, le cheval aura été (...)
  • 06 . Le cheval, est suspendu au dessus du puits et va entamer sa descente. (...)
  • 07 . Descente d'une mule à la mine de Homestake (USA). Cette mine est la (...)
  • 08 .A gauche une bride avec, sur le dessus, la barrette de cuir. A droite (...)
  • 09 . La vie de l'ânesse Kano. Kano travaillait aux puits des Minimes et (...)
  • 10 . Fauvette n'eut guère une vie plus heureuse que Kano avec 3 (...)
  • 11 . Fiche du cheval Domino qui vient en remplacement de la jument Coquette (...)