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Le halage à col d’homme. Les chevaux de halage (4).

D 1er juillet 2014     H 10:45     A Traitgenevois     C 1 messages


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Ilia Efimovich Repin (1844-1930) - Volga Boatmen (1870-1873). Wikipédia.
"Ils tractaient tête baissée, le regard vide, les épaules labourées par la bande de tissu de la bricole. Ils halaient, les dents serrées sur leur fatigue, gesticulant sans cesse pour tenter de chasser les mouches nombreuses qui voltigeaient sur le chemin de halage..." Arilde Bacon rend ainsi compte de l’effort des hommes qui halent un bateau (1). De ce travail sur-humain ne nous restent que quelques photos et de rares témoignages.
Avant de passer au halage par les chevaux, il fallait nous intéresser au halage à col d’homme.
En premier lieu parce que ce fut probablement une des premières techniques de traction employée sur les voies d’eau. Si quelques auteurs de l’antiquité évoquent bien le halage par des animaux, il n’en reste pas moins vrai que ce travail fut avant tout exécuté par des humains.
Il faut avoir à l’esprit que le halage à col d’homme fut utilisé pendant des siècles et qu’il représente le mode de propulsion le plus longtemps employé en navigation fluviale.
Le bas relief ci-dessous, représente le halage d’un bateau sur la Durance à l’époque gallo-romaine.
Bas relief exposé au musée Calvet d’Avignon. Document Wikipédia. Photo de JPS68.
Ensuite parce que ce type de halage va cohabiter avec la traction animale et même la concurrencer.
A première vue cette concurrence peut sembler illogique.
Comment un homme qui hale peut il être plus efficace que des animaux ?
Cette rivalité va surtout se faire sentir sur les canaux et principalement sur les canaux de Bourgogne et du centre de la France.
Nous avons vu qu’il y circulaient des bateaux de taille réduite.
Halage sur le canal de Berry. Image issue du blog La Batellerie.
Les berrichons portaient 70 à 80 tonnes en canal (2). Les tirer était à la portée du halage humain avec des performances comparables à celles de chevaux : un parcours d’une vingtaine de kilomètres par jour.
D’autres critères sont à prendre en compte dans ce choix. Comme le signale René Descombe dans son ouvrage (2), le halage humain est "remarquablement économe en espace sur le bateau, (le halage animal) nécessitant la présence d’une encombrante écurie sur le bateau".
L’investissement de départ est réduit puisqu’il n’y a pas de chevaux à acheter.Il faut cependant se souvenir que tous les mariniers n’étaient pas propriétaires des chevaux qui les tractaient et qu’il n’y avait pas toujours une écurie sur les péniches tractionnées. Il reste vrai que deux chevaux sont autant de bouches supplémentaires à nourrir.
A l’arrivée, beaucoup considéraient que les frais étaient moindres avec le halage humain, mais le sujet faisait débat.
La mise au gabarit Freycinet va changer la donne. Avec des bateaux portant 300 tonnes, le halage humain ne pourra pas rivaliser avec la traction animale. Encore qu’il convient de noter que certains mariniers recourront encore à la bricole,il est vrai de manière ponctuelle, jusque vers les années 1950.

Deux femmes halent un bateau au gabarit important. Le bateau est vide. Le marinier resté à bord éloigne le bateau de la rive pour compenser la traction diagonale. Image issue du blog La Batellerie.
Penchons nous un instant sur ces hommes mais aussi ces femmes et ces enfants qui halaient les bateaux.
Qui étaient-ils ? Quelle était leur vie ?
Cette histoire, comme celle des chevaux de halage, comporte de nombreuses zones d’ombre. A notre connaissance peu d’ouvrages y sont consacrés.
Des témoignages et des informations contradictoires s’entrecroisent. Peut-être parce que certains de ces récits ne situent pas assez le témoignage ni dans le temps ni dans l’espace.
Le halage par les humains est à considérer de manière différente selon les époques et les voies d’eau où il s’exerce.
Les conditions du halage au 15ème siècle ne sont pas celles du 19ème siècle.
La halage en rivière se démarque du halage sur les canaux.
Chaque région a ses spécificités, ses bateaux. Les canaux du nord ne sont pas ceux du centre, les conditions de navigation qui règnent sur la Loire ne sont pas celles qui régissent la batellerie du Rhône.
Certains haleurs vendaient leur travail à la journée. Ce pouvaient être de pauvres hères qui vivaient près des canaux ou des rivières en espérant trouver un bateau à haler pour un salaire souvent dérisoire. Cette main-d’œuvre se recrutait surtout dans les ports des fleuves et canaux.
François Berenwanger écrit que "Les villes de Fresne-sur-Escaut et de Condé-sur-Escaut disposaient en 1850, de 1500 personnes qui préféraient ce travail pénible à celui de la mine" (3)
Les longs jours quant à eux, passaient un accord pour la destination finale du convoi.
Ils pouvaient eux même être bateliers et travailler pour une entreprise de batellerie ou pour leur propre compte. D’autres, plus ou moins haleurs occasionnels, exerçaient diverses professions liées ou non à la batellerie (menuisier de marine, paysans...).
Mais le recrutement de ces haleurs pouvait être mieux organisé, par exemple au 15ème siècle sur le Rhône, par l’intermédiaire des brochiers. En fait, il s’agissait de marchands de travail qui passaient un contrat avec les patrons-bateliers et les haleurs. Ces derniers, souvent paysans endettés, en difficulté ou débiteurs du brochier, n’en était pas moins des gens dont on exploitait la force de travail.
Dans ce cas les haleurs étaient encadrés et une assez bonne discipline régnait dans des équipages qui pouvaient se compter par dizaines voire centaines de personnes (quoique ce point soit discutable pour les troupes les plus nombreuses). A la fin du 15ème siècle ces grandes troupes vont disparaitre assez rapidement au profit de la traction animale.
Le halage à col d’homme subsistera cependant sur le Rhône sous des formes plus modestes (4).
Il existait en fin de compte beaucoup de configurations différentes.
Toute la famille est au halage sur la Scarpe, rivière du Nord-Pas-de-Calais. . Image issue du blog La Batellerie.
Difficile de dire si sur cette photo les enfants tirent réellement le bateau ou s’ils posent pour la photo. En principe les enfants sont exclus de ce travail de halage. L’age minimum pour le halage par exemple sur le canal d’Orléans est de quinze ans.
Malheureusement, comme souvent, cette réglementation n’était pas respectée et les enfants halaient. La date,1931, nous indique que malgré les interdictions, le halage à col d’homme s’est prolongé tard dans le temps.
Cette photo est intéressante parce que pour une fois elle est prise à la mauvaise saison. Le chemin est détrempé. La plupart des photos ont été faites par beau temps, ce qui était plus facile pour le photographe.
Cependant ces photos ne rendent compte que d’une parcelle de la réalité du halage.
Il fallait aussi haler les mauvais jours, sous la pluie, dans le froid. Les chemins de halage devenaient boueux, glissants ou gelés.
Les habits et les chaussures étaient mouillés et leurs matériaux n’avaient rien à voir avec ceux d’aujourd’hui.
Les haleurs avaient-ils des vêtements de rechange ?
Pour certains d’entre eux, les plus démunis, probablement pas. Où et comment pouvaient-ils les faire sécher ?
Une grande part de la dureté du halage nous échappe en regardant ces photos.
Bricoles de halage à col d’homme . Image issue du blog Atelier La Douve aux Loups44.
Pour tirer, les haleurs se passaient ces harnais autour de la poitrine.
Ces bandes de tissus pouvaient être appelées selon les régions, bricoles, las, enses...
Les haleurs tiraient penchés en avant et étaient pour cela surnommés "les ramasseurs de persil". Ils pouvaient aussi tracter en s’arc-boutant sur le dos, alternant les deux positions pour atténuer les douleurs.
Peinture deClaude Delcoy
Pour essayer d’évaluer l’effort déployé, il faut se rendre compte qu’un bateau de 300 tonnes tiré par un homme seul (en canal bien sûr) se déplaçait à la vitesse de 700 à 800 mètres à l’heure environ (3). L’effort était intense et prolongé pendant des heures.
Image issue du blog La Batellerie.
Sur cette photo, nous voyons un couple de personnes déjà âgées tirer un berrichon.
Les haleurs se sont arrêtés le temps de la photo. La femme a déposé à terre un petit sac. Nous ne saurons pas ce qu’il contient : de quoi s’alimenter ou se désaltérer, un tricot...? Une personne est à la barre abritée sous un parapluie. Le bateau est équipé d’une écurie en son centre. Le couple hale-t-il pendant que les chevaux se reposent ou peut-être n’y a t-il pas de chevaux ni d’ânes à bord et qu’un soucis d’économie fait préférer la bricole.
Il semble qu’il n’y ait de chemin de halage que sur un seul côté, mais parfois, comme sur le canal de Briare, la traction se faisait des deux cotés. Inutile dans ce cas d’avoir quelqu’un à bord pour guider le bateau.
Le livre de René Descombes nous donne une petite idée de ce que pouvait être un voyage au 18èmè siècle sur le canal de Briare " Certains bateliers/haleurs, entreprenaient le voyage aux longs jours de Briare à Paris. Une équipe demandait ainsi un minimum de 100 livres pour effectuer ce trajet.
Arrivés à Paris, les haleurs revenaient habituellement à pied de Paris à Briare ; c’étaient de solides marcheurs, qui abattaient en 3 jours les 42 lieues (168km) qui séparent la capitale de Briare"
(2).

Halage par deux femmes. Remarquez la position des bras. Position que l’on retrouve souvent chez les haleurs. Image issue du blog Atelier La Douve aux Loups44.
Les informations sur les salaires des haleurs à col d’homme sont souvent contradictoires. Salaires de misère pour les uns, bons salaires pour les autres. Là aussi il convient de se situer dans l’époque et le lieu.
Il est difficile de comparer les sommes avancées par les uns et les autres avec le salaires d’ aujourd’hui.
François Berewanger indique une somme de 1 franc du kilomètre pour les haleurs qui en 1847 tiraient les bateaux sur l’Escaut belge et la Lys..
Mais nous ne savons pas s’il s’agit de franc belge ou de franc français.
En 1855, MM Chanoine et De Lagroné indiquent un coût pour le halage à col d’homme sur les canaux du centre de 0.007 franc par kilomètre et par tonne transportée.
Il nous manque trop de renseignements pour évaluer ce que gagnait un haleur.
Quelle était la taille des bateaux tractés,le tonnage transporté, la fréquence à laquelle les haleurs trouvaient du travail, la longueur des relais ou des voyages etc...
Nous voyons que trop d’éléments nous sont inconnus pour pouvoir réellement juger de ce que représentent ces sommes. On ne peut pas en déduire un salaire, tout juste des frais pour les bateliers.
Nous nous en tiendrons donc à quelques idées générales.
Pourquoi payer un salaire élevé alors que des dizaines, voire des centaines d’hommes attendent d’être embauchés ? Tel était probablement le raisonnement des propriétaires de bateaux là où la main-d’œuvre était abondante, inorganisée et sans qualification.
A contrario, il est possible que dans certaines situations, les haleurs aient pu eux aussi faire subir une certaine pression sur les bateliers. Des documents administratifs belges évoquent vers 1850 une situation conflictuelle dans les rapports entre haleurs et bateliers. Le texte signale de "graves abus auxquels donnent lieu les exigences des corporations de haleurs" sur la Lys et sur l’Escaut (5).
Dans le Nord, les haleurs essayèrent de se regrouper pour faire valoir leurs droits en 1833. Le préfet d’alors mit fin à cette tentative (6).
Des documents administratifs français font état, en 1857, de la "désertion" de haleurs du Nord qui quittèrent leur travail de halage pour aller s’embaucher dans les fabriques de sucre et distilleries du pays (7).
Ce qui laisse supposer que les salaires de ces haleurs ne devaient pas être mirobolants.
Les comportements et les salaires ne devaient pas être les mêmes lorsque un propriétaire de bateau confiait son matériel à un marinier/haleur. L’homme (ou les hommes) était ainsi responsable de la bonne navigation du bateau et de l’acheminement du chargement à bon port.
Sous le second Empire, sur les canaux du centre et de Bourgogne, les haleurs pouvaient commencer par travailler pour un entrepreneur propriétaire de bateaux. A force d’économies sur leur salaire certains réussissaient parfois à acheter un bateau d’occasion et halaient alors pour leur compte devenant mariniers à leur tour.(8)
Ainsi, le batelier et/ou sa famille pouvait haler la péniche familiale. Mais là encore nous manquons d’éléments pour juger du revenu de ces travailleurs.
On peut donc constater que la situation salariale des haleurs est loin d’être homogène et qu’il est bien difficile de dégager une ligne générale.
Sur les canaux et rivières, l’introduction du gabarit Freycinet va progressivement entrainer la disparition de la traction à col d’homme ou du moins sa raréfaction. Des arrêtés préfectoraux vont interdire le halage à col d’homme, comme en 1837 sur la Dordogne.
Le préfet du Loiret en autorisant le halage animal en 1842, provoquera la désuétude progressive du halage à col d’homme sur les voies d’eau du département.
Un arrêté préfectoral du préfet du Pas-de-Calais stipule en 1857 que "les bateaux de 30 tonneaux et au dessous, pourront n’être halés que par des hommes" (2).
Ce qui implique une obligation de recourir à la traction animale pour ceux dont le tonnage est supérieur.
Un décret du 19 juin 1875 interdit le halage à la bricole sur le canal de St Quentin et de quelques rivières avoisinantes (3).
La mise au gabarit Freycinet du canal du centre entre 1880 et 1895 accélérera la mutation sur cette voie d’eau.
En principe la loi Freycinet de 1879 interdit le halage à col d’homme, mais celui-ci subsistera encore longtemps.
Nous verrons plus loin que cette mutation ne fut pas la conséquence de considérations morales ou humaines (bien qu’il ait été mis en avant par les autorités la fin d’un travail pénible) mais bel et bien celle de changements technologiques et d’intérêts économiques.
Ces interdictions se heurteront à l’hostilité des haleurs dont c’était le seul revenu.
Ils se verront ainsi privés de leurs maigres ressources et s’en prendront parfois aux équipages et aux charretiers des bateaux halés par traction animale.
Des mailles seront coupées entrainant la dérive des bâtiments, des bagarres éclateront entre haleurs et charretiers et/ou équipages.
Malgré ces incidents et résistances la transition vers la traction animale est engagée et ira en se développant.
Un certain nombre de textes et d’illustrations sont reproduits ici avec le consentement de leurs auteurs ou propriétaires. Merci de ne pas les utiliser sans autorisation.
Dans le prochain article nous aborderons la traction animale.
A suivre.
(1) Les bateliers de la Loire-La Créole,Arilde Bacon. Le Sémaphore Editeur. 1997.
Cité dans le livre de René Descombes.
(2) Chevaux et gens de l’eau sur les chemins de halage. René Descombes. Cheminements éditeur.2007
(3)Halage et traction. François Berenwanger. Les cahiers du musée de la betellerie.
(4)Les haleurs du Rhône au 15ème siècle. M. Rossiaud. Actes des congrès de la Société des historiens médiévistes de l’enseignement supérieur public.1976. Persée.
(5)Recueil des pièces imprimées par ordre de la Chambre des Représentants. Bruxelles 1856.
(6)Précis historique et statistique des canaux et rivières navigables de la Belgique et d’une partie de la France.Benoît-Louis- De Rive. Bruxelles. Chez Leroux, libraire. 1835.
(7)Cours de droit administratif appliqué aux travaux publics, Volume 4.M. Cotelle. Dunod, éditeur. Paris 1862.
(8)Une saga batelière de 1850 à 1980 (Tome 1). Lydia Carnec-Branchet. Les cahiers de la batellerie. Editions de l’AAMB.

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