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Les chevaux entrent en scène. Les chevaux de halage (5).

D 12 août 2014     H 09:45     A Traitgenevois     C 0 messages


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Horace raconte au 1er siècle avant J.C. son voyage de Rome à Brindes.Il emprunte au cours de ce voyage un bateau halé par une mule. Un voyage pour le moins pittoresque mais qui atteste que des équidés étaient déjà utilisés pour le halage.
"Je partis de Rome avec Héliodôre le plus habile Rhéteur de la Grèce & nous couchâmes à la petite ville d’Aricie. De là nous arrivâmes au Marché d’Appius. Ce bourg étoit plein de batteliers & de cabaretiers tous francs frippons. Nous fûmes deux jours à faire cette traite que de bons voiageurs auroient faite en un jour mais cette route est fort commode pour ceux qui voiagent à petites journées. Tout disposé que j’étois a bien souper je me fis violence ce jour là à cause de sa mauvaise qualité de l eau. Jugez fi j’étois fort content de demeurer les bras croisés pendant que ma compagnie rnangeoit de bon appétit. Déja la Nuit commençoit à couvrir la terre de ses ombres & à étaler ses étoiles au Ciel quand les batteliers & nos valets s’aviserent de se quereller ; C’étoitun vacarme horrible Monsieur disoit l’un venez à mon bord.Hola disoit l’autre tu mets trois cent personnes dans ton batteau n’en est ce pas affez ;après toutes ces clameurs les patrons ramaffent l’argent de la voiture, on attache la mule qui doit nous tirer & une heure entiere se paffe fans démarer.
Nous comptions de bien dormir fur l’eau mais les coufins & les grenouilles du marais sembloient s’entendre pour nous empêcher de fermer l’œil. Autre persécution nos mariniers & la plûpart des gens qui s’étoient embarqués avec nous & qui avoient la tête échauffée par les vapeurs du mauvais vin qu’ils avoient bu avec excès se mirent à chanter leurs amours à l’envi les uns des autres. Enfin les voiageurs fatigués commencent à s’affoupir. Le marinier aimant mieux se reposer que de travailler délie fa mule pour la laisser paître, attache la corde à une pointe de rocher, fe couche fur le dos & ronfle tout de fon mieux. A la pointe du jour les premiers éveillés s’ apperçoivent que le batteau est arrêté. Le feu monte aussi tôt à la tête d’un de nous ; il faute brusquement à terre, rompt une branche de faule & frappe à tour de bras sur la mule &le battelier" (1).

A ce récit, l’on peut voir qu’un voyage sur l’eau à cette époque n’était pas de tout repos.
Le trajet se déroule probablement sur un canal dans les Marais Pontins.Ceci explique qu’une seule mule tire le bateau et qu’un batelier évoque, peut-être exagérément, un bateau de 300 personnes.
Cependant, la traction par les équidés semble encore largement minoritaire. Probablement parce que en l’absence de matériel de harnachement bien adapté il n’est pas possible de tirer d’un animal toute la puissance nécessaire à une traction de matériels pesants. La lente diffusion du collier d’épaule et du ferrage va changer cet état de fait et permettre d’utiliser toute la puissance des équidés.
Mais il existe probablement d’autres facteurs. Le halage par des animaux nécessite des chemins de halages entretenus ce qui, nous l’avons vu, n’était pas toujours le cas. La traction animale requière...des animaux. Or ceux-ci représentent des investissements que peu peuvent se permettre surtout en ce qui concerne les chevaux..
Il faut également des moyens techniques qui longtemps ont manqué à la navigation fluviale : canaux et bateaux de grand gabarit.
Le halage à col d’homme va donc prédominer sur rivières et canaux tant qu’il sera adapté aux moyens techniques existants et aux contraintes économiques du moment.
Les divers acteurs économiques vont se livrer une lutte pour accéder aux marchés et aux bénéfices, réels ou espérés, qui en découlent.
Dans cette lutte, l’abaissement du coût du transport va représenter un enjeu important.
Schématiquement, il s’agit d’aller toujours plus vite, plus loin avec une charge utile plus importante pour un coût toujours plus bas.
C’est dans cette optique que, sur les rivières et canaux, le cheval va prendre le dessus sur le halage à col d’homme.
A l’intérieur de chaque mode de transport la lutte sera rude entre les divers technologies à l’œuvre. Sur les voies d’eau qui nous occupent les modes de propulsion des bateaux seront la traction à col d’homme, la traction animale, la traction mécanique, le remorquage,les automoteurs etc...
Il serait faux de s’imaginer qu’une nouvelle technologie fait immédiatement et complètement disparaitre celles qui l’ont précédé.
Toute nouvelle technologie passe par une phase d’essor puis par une phase de domination et enfin par une phase de déclin. Les phases de ces moyens de traction que sont le halage à col d’homme, le halage par les chevaux puis les moyens motorisés (pour faire court) vont donc se croiser. Mais l’une sera en perte de vitesse alors que l’autre sera dominante et la dernière naissante .Ce qui fait que nous verrons ces modes de traction à l’œuvre en même temps mais pas dans les mêmes proportions ni dans les même conditions.

Halage sur la Sambre en Belgique. Image issue du blog La Batellerie.->http://www.dubato.fr]
C’est probablement sur les rivières que le halage animal va commencer à s’imposer au halage à col d’homme.
Sur le Rhône, les raisons du passage du halage à col d’homme au halage par des chevaux à la fin du 15ème siècle peuvent s’expliquer par plusieurs facteurs.
Les brochiers se trouvent confrontés à la difficulté à trouver des haleurs dans le couloir rhodanien mais aussi à la concurrence que livre une agriculture qui se développe et qui utilise la même main d’œuvre que le halage. La peste a aussi pesé sur le halage par une diminution de la population d’où une raréfaction de la main d’œuvre disponible.
La taille des convois augmentant il faut de plus en plus d’hommes, difficiles à trouver, pour les tracter. Les grandes troupes qui de plus en plus sont nécessaires pour tirer des convois très importants sont difficiles à contrôler.
Ces incertitudes qui pèsent sur le transport sur le fleuve vont inciter les marchands qui affrètent les "viages"* à se tourner vers le halage par les chevaux.A l’usage, l’utilisation du halage par les chevaux se révèle économiquement rentable pour les marchands qui y ont recours. Le halage par les chevaux allait régner sur le Rhône jusqu’au 19ème siècle (3).
Nous reviendrons spécifiquement sur la navigation sur le Rhône.
On parle le plus souvent des chevaux de halage, mais il ne faut pas oublier que les bœufs les ânes et les mulets furent employés à cette tâche.
Renée Pillet raconte la remontée du Rhône et de l’Isère par les radeliers vers les années 1800. Leurs bateaux, les savoyardeaux, étaient plus souvent tirés par des bœufs que par des chevaux et cela en conséquence des chemins de halage défoncés (4).

Dessin de Martial Chantre « Des chevaux, des péniches et des hommes » © Collection Association des Amis du Musée de la Batellerie.
"On a vu également des boeufs sur les chemins de halage, bien qu’ils semblent plus à l’aise devant la charrue.Je me souviens en avoir encore admiré en 1939 sur le canal de la Somme. Oh ! un seul attelage, sans doute le dernier (5)."
La situation est différente sur les canaux. Ici, il n’est pas possible de faire naviguer les grandes unités à vapeur qui ont fini par conquérir les fleuves.
Mais, comme ailleurs, les évolutions techniques vont avoir raison de la traction à col d’homme.
Le plan Freycinet en permettant à des bateaux de 38m50 de long,5m20 de large et portant 250 tonnes de naviguer en canal va donner l’occasion au cheval de halage de s’imposer comme tractionneur au dépens des hommes.
Jusqu’à l’introduction de ce plan, on peut dire que deux choix s’offraient aux affréteurs : soit ils utilisaient un petit bateau et le transport était rapide mais le volume transporté modeste, soit ils affrétaient un grand bateau et le voyage était lent avec un chargement volumineux.
Le développement du gabarit Freycinet va entrainer une petite révolution en précipitant l’usage de chevaux en courbe, c’est à dire deux chevaux. Parfois ce seront plus de deux chevaux qui haleront.
Une étude réalisée en 1985 a mis en valeur les facteurs d’évolution sur la canal du Centre. Cette étude porte sur 454 voyages vers le canal du centre entre 1895 et 1897.
Cette très intéressante publication explique bien le recours aux chevaux : " Le halage par deux chevaux apparait bien comme un mode (de traction) à la fois autre et beaucoup plus souple : on entre dans des niveaux énergétiques inconnus jusqu’à là et qu’il est possible de moduler davantage que pour les autres modes à la plage énergétique des chevaux est incomparablement plus large que celle de l’homme ou de l’âne"
Et de conclure " L’introduction de ce nouveau mode de traction correspond à la généralisation du gabarit Freycinet...........Un tel bateau aux médiocres qualités hydrodynamiques, mais qui utilise au maximum les capacités des écluses, ne pouvait plus être tiré par un ou plusieurs hommes. La disparition du halage humain semble donc relever de considérations technologiques que de préoccupations morales." (6).
Le halage par les chevaux (et les ânes et mulets en moindre part) va donc s’imposer sur les canaux.C’est leur histoire et celle de femmes et des hommes qui vécurent à leurs côtés que nous allons suivre par la suite.
* Viages : trains de bateaux sur le Rhône.
Un certain nombre de textes et d’illustrations sont reproduits ici avec le consentement de leurs auteurs ou propriétaires. Merci de ne pas les utiliser sans autorisation.
A suivre.
Image du logo issue du blog de Daniel Debeaume.
(1)LES POESIES D HORACE TRADUITES EN FRANÇOIS AVEC DES REMARQUES et des Dissertations critiqués Par le RP Sanadon de la Compagnie de Jefus .A AMSTERDAM & A LEIPZIC Chez ARKSTÉE Et MERKUSi 1756. Cité dans le livre de René Descombes "Chevaux et gens de l’eau sur les chemins de halage.
(2) Renée Martin-Pillet. Ton père tu honoreras-Joseph 1900. Les chants de la terre.La fontaine de Siloé.1996.
(4) Marie-Françoise Berneron- Couvenhes.Les messageries maritimes : l’essor d’une grande compagnie de navigation,1851-1894.PUPS.Maison de la recherche.Université Paris-Sorbonne (Paris IV) 28, Rue Serpente 75006 Paris. 2007.
(3)Les haleurs du Rhône au 15ème siècle. M. Rossiaud. Actes des congrès de la Société des historiens médiévistes de l’enseignement supérieur public.1976. Persée.
(5) Martial Chantre. Des chevaux, des péniches et des hommes.Les cahiers du Musée de la Batellerie. Novembre 1998.
(6) Infrastructure et transformation de l’espace.Le cas de la région du Creusot-Montceau-les-mines entre 1780 et 1980. Recherche réalisée sous la direction de François Plassard. Mai 1985.

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