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Techniques de halage (1ère partie) . Les chevaux de halage (8).

D 17 février 2015     H 16:30     A Traitgenevois     C 0 messages


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Le halage, et en particulier celui qui a recours aux équidés, pose un certain nombre de problèmes. Nous allons essayer de les passer en revue.
La rivière ou le canal est une voie d’eau. Nous avons déjà vu les solutions qui s’offrent aux bateaux exempts de moteur thermique à bord pour se déplacer.
Les problèmes techniques diffèrent selon que le bateau se déplace sur une rivière ou sur un canal.
Sur une rivière, il y a une dissymétrie entre l’énergie nécessaire au bateau montant ou au bateau avalant. Essayons de décrire sommairement le problème.
A la descente, bateau avalant, le voyage pouvait se faire à "gré d"eau", c’est à dire en n’utilisant que le courant du fleuve ou de la rivière. Cela n’était possible qu’en conséquence de la puissance de ce courant. Si le courant était trop faible, il fallait tracter. Si le courant était suffisamment important, le bateau suivait ce courant. Ce qui n’allait pas sans mal. Le bateau se déplaçant à la même vitesse que l’eau, le gouvernail était quasi inopérant, d’où une difficulté à manœuvrer.
Les équipages affrontaient de grands danger par exemple au franchissement des ponts. Celui de Pont St Esprit sur le Rhône en est un exemple.
Dans ces conditions, le bateau n’avait pas besoin de grandes qualités nautiques : une boite parallélépipédique aurait fait l’affaire.
Halage sur la Somme. Trois courbes sont au travail. Collection personnelle.
A la remonte, il fallait tracter avec des équipages aussi importants que le courant l’exigeait. Le bateau devait alors avoir des formes plus adaptées à la navigation.
Cette dissymétrie aura une grande incidence sur la construction de bateaux, sur les marchandises transportées et sur les coûts du transport. Nous en reparlerons.
Du temps du halage à la bricole, les bateaux ont parfois été halés de chaque côté des canaux. Une présence à bord n’était pas indispensable pour que le bateau navigue correctement au milieu du bief.
Dès que le bateau est halé d’un côté, que ce soit par des humains ou par des chevaux, il se trouve confronté à un problème majeur : la route des éléments tracteurs et celle du bateau ne coïncident pas.
Le petit schémas ci-dessous fait le point sur les forces en jeu sur un canal, ce qui permet d’éliminer les courants d’une rivière et simplifie un peu l’explication.
Dessin issu du blog Papidema. (Ed. Imbaux (ICPC), La Nature N° 2441, pages 33-34, 15/01/1921, Doc G. Kiffer)
Le chemin de halage se trouve bien entendu sur le côté du bateau et au minimum légèrement au dessus du plan d’eau.
La traction va donc se faire en diagonale ce qui va avoir pour premier effet de ramener le bateau vers la rive.
Sur son bateau, le marinier va devoir contrebalancer cette tendance avec son gouvernail.
De la même manière, le cheval va lui se trouver entraîné vers l’eau.
Plusieurs mesures tendent à minimiser ces actions défavorables.
Plus le tirage sera long et plus l’angle formé entre la direction du bateau et la diagonale de tirage sera petit, se rapprochant de ce qu’il serait si les chevaux tiraient devant le bateau (ce qui est évidemment impossible) .
Mais attention, trop long, le tirage risque tremper dans l’eau ou de s’accrocher à la végétation de la rive et d’entraver la bonne marche du bateau et de mettre les chevaux en danger.
Plus il est court, plus les chevaux vont tirer en diagonale.
Photo issue du blog Histoires du Nord
Comme sur cette photo prise sur la Sambre que l’on peut également voir dans le portfolio.
Sur la photo 3 du portfolio, le bief est long et à peu près droit ce qui simplifie le halage avec un tirage assez long. Les chevaux se déplacent de manière sensiblement parallèle à la rive.
Ce n’est pas le cas sur la section du canal latéral à la Marne dans le secteur de Mareuil-sur-Ay (photo 4) , ni apparemment sur ce tronçon du canal de la Sambre à l’Oise ci-dessus, ce qui explique peut-être des tirages plus courts et, par voie de conséquence, de plus grands efforts demandés aux chevaux.
L’habileté et le métier des mariniers et charretiers peuvent aussi être en cause. Certains charretiers, nous l’avons vu, n’étaient qu’occasionnels.
Une autre possibilité est qu’un croisement soit en préparation. Auquel cas le tirage peut être raccourci en vue de modifier la route du bateau. Nous reparlerons des règles qui président aux croisements et trématages.
Dans le même ordre d’idée on pourrait rapprocher le plus possible le bateau de la rive et le cheval de la berge afin de réduire l’angle direction bateau/diagonale de tirage.
Ce qui, pour des raisons pratiques aisément compréhensibles, n’est pas toujours possible ou souhaitable. Les bord sont les endroits les plus dangereux aussi bien pour les chevaux qui peuvent rapidement être entrainés dans l’eau que pour le bateau qui peut heurter des hauts fonds ou s’envaser.
Une autre disposition importante est de placer le point de tirage au meilleur endroit sur le bateau.
Là encore il faut se contenter d’approcher l’idéal, ce point se situant à l’intérieur du bateau.

Le point de tirage ne sera pas situé à l’avant, ce qui tirerait trop l’avant vers la rive.

Il ne sera pas non plus situé à l’arrière, ce qui tirerait l’arrière vers la terre.

Il sera donc situé à peu près entre la moitié et le tiers avant du bateau, endroit qui est le meilleur compromis pour lutter contre la tendance à la dérive. La position de ce point n’éliminera pas totalement cette dérive mais la minimisera. Il faudra tout de même au marinier compenser avec le gouvernail.
Ce point de traction sera matérialisé par le grand mât ou par le petit mât de canal.
Le tirage sera fixé en haut du grand mât qui sera fortement haubané afin de résister aux contraintes qui s’exercent sur lui (photo 5 du portfolio) .
Cette solution présente avantages et inconvénients.
Il permet, surtout en rivière où les berges peuvent être encombrées, de franchir les obstacles dus à la végétation.Son élasticité (toute relative) "encaisse" les à coups. Il permet également d’effectuer un certain nombre de manœuvres en "lève" . Nous les décrirons par la suite.
Parmi les inconvénients notons la nécessité d’abaisser le mât au passage des ponts.
Enfin, ce mât est fragile et cher, ce qui explique que très souvent en cas de casse, il sera remplacé par un ou deux mâts de canal.
Ecluse à Evran (Côtes d’Armor) sur le canal d’Ille et Rance.Document Charly Bayou. Responsable du Musée de la batellerie de l’Ouest. Redon.
Sur la photo ci-dessus, un petit mât est situé au milieu et devant (mais pas complètement à l’avant) ce qui prouve que les solutions étaient diverses. Sa position inclinée indique bien la direction de la traction. La vie s’organise autour de l’écluse avec la présence de pécheurs et de femmes qui lavent le linge. Deux femmes essorent le linge qui vient d’être lavé. A noter qu’il n’y a qu’un seul cheval qui tire le bateau.
Le mât de canal, comme son nom l’indique, est plutôt destiné à la navigation sur les canaux, les abords de ces voies d’eau étant en général mieux dégagés que sur les rivières. Plus petit que le grand mât, il y en a souvent un positionné de chaque côté vers l’avant du bateau, parfois reliés par une barre horizontale.
Image du Blog ronfleur.centerblog.net
Source : ronfleur.centerblog.net sur centerblog.
La photo ci-dessus représente le halage d’un bateau par un mât de canal. Remarquez également l’aménagement de la berge.
La scène se déroule sur l’Escaut près de Valenciennes.
Sur la photo 5 du portfolio, le bateau qui sort du pont- canal de Briare est équipé des deux types de mâts.
La position des divers mâts, même optimisée, la hauteur du grand mât ainsi que la non coïncidence des trajectoires cheval/bateau vont entrainer des pertes de puissance.
Des pertes d’autant plus fâcheuses avec les chevaux que leur propre puissance est limitée.
L’étude des forces qui agissent sur un solide se déplaçant dans un fluide est très complexe. Essayons tout de même de voir ce qu’il se passe avec un bateau tracté par des chevaux.
L’eau va opposer une résistance à l’avancement du bateau. Au XIXème siècle plusieurs études ont été menées, que ce soit par l’ingénieur écossais Scott Russell ou par le capitaine français Arthur Morin.
Arthur Morin va mener ses essais à Metz et en région parisienne entre 1836 et 1841.
De ces expériences sur le terrain,ou plutôt sur l’eau, sont nées quelques réflexions pouvant donner une idée de la résistance à l’avancement des bateaux (1) .
Pour simplifier, nous considérerons que le bateau se déplace sur un canal exempt de courant.
En première analyse, on pourra dire que la résistance à l’avancement dépend de la section immergée du bateau, de sa vitesse et de la forme de sa carène
Selon les formes de l’avant et de l’arrière du bateau, cette résistance variera de façon importante.
On peut simplifier l’approche à propos des bateaux en les divisant en "marcheurs" et "porteurs" . Les premiers sont conçus pour la vitesse, les seconds pour un fret maximum. Et bien entendu, les constructeurs adoptent beaucoup de solutions intermédiaires adaptées le plus souvent aux conditions de navigation et/ou économiques.
Peinture de Claude Delcloy.La péniche en bois des années 1950.
Les péniches par exemple sont conçues pour transporter le plus grand chargement possible au détriment d’une grande vitesse impossible ou difficile à atteindre à la bricole ou avec des chevaux.
Malgré tout il reste encore de nombreux phénomènes à prendre en compte. Nous ne retiendrons que celui concernant le canal. Selon sa largeur et sa profondeur, la résistance à l’avancement se trouvera modifiée. En avançant, le bateau va pousser une masse d’eau devant lui. Cette masse d’eau doit pouvoir s’écouler et le profil du canal, les rétrécissements, écluses et tunnels, prennent ici toute leur importance.
Arthur Morin a fait en particulier des études sur la traction des bateaux sur le canal de l’Ourcq. Il a utilisé, entre Meaux et Paris, des bateaux de poste rapides tirés par trois chevaux.
Pendant ces essais, les chevaux se déplaçaient à grande vitesse, environ 15 km/h, au trot soutenu ou au galop. Ils travaillaient en relais sur des distances d’environ 3km800.
Les bateaux utilisés avaient de 22m70 de long, 1m86 de large au maitre couple et un enfoncement de 0m27 à 0m37. Leur proue était effilée et la poupe carrée, le fond était plat, les bordages verticaux.
Le canal de l’Ourcq est animé d’un courant de 0m30 à la seconde ce qui occasionne des différences selon le sens du déplacement.
De ses multiples essais, Arthur Morin tire les enseignements suivants :
- L’effort à l’épaule sur chaque cheval en cours de navigation et pour une allure régulière de plus ou moins 15km/h est de 42kg59 à la remonte et de 33kg31 à la descente.
- Un ralentissement du bateau provoqué par les allures irrégulières des chevaux fait
fortement augmenter le tirage en raison du déplacement vers l’avant du bateau de
l’onde solitaire. Ces allures irrégulières des chevaux peuvent être dues soit à la fatigue des animaux ou à leur inexpérience et/ou à celle du charretier.
- Quelques relevés lors de ces allures irrégulières ont montré des efforts à l’épaule
allant jusqu’à 93kg33. A la vitesse de 4.22m/s, le travail par seconde effectué
par chaque cheval s’élève à 393 kilogrammètres et cela pendant des durées de
une à deux minutes.
- Le travail moyen journalier fourni par ces chevaux a été estimé par A. Morin à
427 000 Kgm (environ 4 185 Kj ) pour une durée de travail totale effective d’un peu
plus d’une heure entrecoupée d’arrêts (4 relais de 3.8km à 15km/heure) .
En vertu de de ce que nous avons formulé ci-dessus, la résistance au halage est
très importante à grande vitesse. La traction des bateaux rapides par des chevaux
provoquait chez ceux-ci de grandes fatigues qu’il fallait compenser par des relais
courts et par la mise au repos d’un cheval tous les quatre jours.
Ces chevaux devaient être souvent changés soit à cause de blessures, soit parce que trop tôt usés par les efforts. A ce propos, voici ce qu’en disait Arthur Morin à l’issue de sa campagne d’essais :

"Or d’après des résultats d’expériences directes sur le travail développé par les chevaux employés à d’autres modes de transport et dont quelques uns sont insérés dans le tableau suivant on voit que les chevaux employés au halage des bateaux rapides développent par seconde pendant leur service une quantité de travail plus que triple en moyenne de celle du cheval de roulage et égale à une fois et demie celle du cheval de diligence ce qui leur occasionne une fatigue excessive qui donne lieu à des maladies de poitrine dont ils meurent presque tous." (1).


Une conclusion pas vraiment réjouissante.
On peut également déduire de ces essais que le halage des bateaux de transport de diverses marchandises par des chevaux au pas occasionnait une vitesse beaucoup plus lente et des efforts bien moindres quoique souvent de longue durée.
Cependant, il est difficile de déterminer le travail journalier qui était fourni par les chevaux de halage. De nombreux paramètres sont à prendre en compte.
- les différents types de halage induisaient des temps de travail très différents pour les chevaux : à raison de journées entières sur tout un parcours pour les bateaux écurie, sur les bateaux qui les louaient ou pour les longs jours, travail plus ou moins fractionné pour les chevaux de relais etc...
Les chevaux, nous l’avons vu, pouvaient toujours parcourir le même secteur de canal.
Ils pouvaient revenir à leur point de départ avec ou sans bateau.
- les types de bateaux impliquaient des efforts de tirage différents.
- les bateaux pouvaient être déplacés avec un enfoncement variable, en charge ou à
vide.
- les temps de chômage étaient très irréguliers.
- certains chevaux étaient spécialisés dans le travail aux écluses ou dans les souterrains.
- les chevaux pouvaient être propriété du marinier ou d’une compagnie, ce qui supposait un rapport différents aux animaux avec en corollaire des soins et une attention plus ou moins poussés. Sans compter les différences individuelles de comportement ; certains mariniers étaient affublés du surnom "marche ou crève", ce qui veut tout dire.
- selon les trajets, les fatigues occasionnées aux équidés pouvaient se révéler plus ou moins grandes : envasement des canaux, rivières en crue etc...
- nous n’avons pas trouvé de mesures sur l’effort des chevaux au démarrage des
bateaux. A combien s’élevait cet effort, et quel était sa durée, pour mettre en
mouvement une péniche avec un enfoncement de 1m80 ?
Comme on le voit, difficile donc de dégager une ligne générale.
Nous continuerons dans le prochain article à étudier le travail des chevaux, les manœuvres auxquelles il devaient participer sur les ouvrages d’art des canaux.
Un certain nombre de textes et d’illustrations sont reproduits ici avec le consentement de leurs auteurs ou propriétaires. Merci de ne pas les utiliser sans autorisation.
A suivre.
Cet article a été rédigé avec la collaboration de Guillaume Kiffer.
La vignette "Chemin du halage" est l’oeuvre de Claude Delcloy.
Retrouvez les illustrations dans le portfolio.
(1) Notions fondamentales de mécanique et données d’expérience. Arthur Morin.
Paris Librairie Hachette et Cie Rue Pierre Sarrazin, N° 14 Près de l’École
de médecine - 1860

Portfolio

  • 01 . Halage sur la Somme.
  • 02 . Halage sur la Sambre.
  • 03 . Ay en Champagne. Tirage long.
  • 04 . Tirage court, les chevaux avancent en biais.
  • 05 . Melun, halage en bord de Seine.
  • 06 . Pont-canal de Briare.
  • 07 . Mât de tirage en Bretagne.
  • 08 . La péniche en bois.
  • 09 . Le chemin du halage.
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