Construire le cheval de travail : un entretien avec Marcel Mavré. Les chevaux des mines (12).
25 mai 2013 12:17 0 messages
Le besoin de chevaux bons tractionneurs, que ce soit en agriculture ou dans l’industrie minière, s’est fortement fait sentir avec les débuts de la mécanisation.
Si dans les premiers temps il n’y avait d’autre alternative, par nécessité, que de puiser dans les ressources existantes, les exigences ont rapidement évolué par la suite.
Comment le cheval de travail, et plus particulièrement celui qui nous occupe ici, le cheval des mines, s’est-il construit ?
Quelles évolutions a-t-il suivi, depuis la demande naissante au début du 19ème siècle jusqu’à son déclin vers 1950 ?
Au moment où le besoin de chevaux a commencé à se faire sentir dans les mines, quels étaient les chevaux disponibles sur le marché ?
Quelles furent les exigences des mines concernant leurs chevaux ?
Si l’on peut observer aujourd’hui une renaissance, même modeste, du cheval de travail, le devons nous, du moins en partie, aux éleveurs et aux structures du passé ?
Nous avons essayé d’y voir plus clair au cours d’un entretien avec Marcel Mavré, utilisateur de chevaux en agriculture en Picardie. Il anime de nombreuses fêtes et concours consacrés, en particulier, au Trait du Nord.
L’entretien ne prétend pas ici épuiser la question du cheval de travail ni du cheval des mines, loin de là, mais apporte un point de vue de la part d’un passionné fortement engagé. Les personnes intéressées par plus de précisions se réfèreront aux livres de Marcel Mavré.


Marcel Mavré : C’est l’avènement du machinisme agricole, dans la deuxième moitié du 19ème siècle, qui va faire émerger la prise de conscience d’un besoin de chevaux de qualité.
Traits en Savoie : Quels ont les principaux points sur lesquels les ingénieurs et/ou les vétérinaires des mines mettent l’accent dans le choix de leurs chevaux ?
Marcel Mavré : Les chevaux sont sans races définies dans un premier temps. Ils sont choisis sains, vigoureux donc rustiques et de taille correspondant à la hauteur des galeries minières. Cette hauteur varie selon la géographie du bassin minier avec par exemple,
dans le Nord/ Pas de Calais, des galeries plus hautes à l’est vers Anzin-Valenciennes-Denain. Le choix de races locales amènera souvent à préférer les chevaux au nord et les mulets au sud de la France.

Traits en Savoie : A la réforme des chevaux, les agriculteurs en achetaient-ils beaucoup ou la boucherie était-elle la principale destination de ces chevaux ?
Marcel Mavré : Les deux filières cohabitent. Cependant notons que dans la moyenne agriculture d’environ 20ha de champs cultivés, les cultivateurs achetaient souvent, à partir de 1880, des chevaux réformés de 10/12 ans dans les grandes exploitations. Il en était de même pour les débardeurs forestiers. ces chevaux servaient jusqu’à l’âge de 20 ans, puis prenaient la route de la boucherie une fois devenus inaptes aux travaux demandés.
Traits en Savoie : Quel a été l’impact de l’arrêt de la demande des mines sur les éleveurs et l’arrêt ou le ralentissement des autres demande se fait-il en même temps ? Cet arrêt a t-il été suffisamment étalé dans le temps pour permettre un certain amortissement des conséquences ?
Marcel Mavré : L’arrêt de la demande de chevaux dans les mines se produit sensiblement à la même période que dans la grande agriculture soit à partir de 1950/1955. Personne parmi les autorités agricoles ne s’est soucié alors du devenir des éleveurs de traits. Ils durent se débrouiller seuls en orientant le cheval de trait vers le cheval "lourd" à des fins de boucherie, ce qui sauvera pour un temps, que j’espère long, le capital génétique.
Traits en Savoie : Reste t-il aujourd’hui des lignées issues de cette demande spécifique ou tout a t-il disparu avec la fin de cette époque ?
Marcel Mavré : Rien ne subsiste aujourd’hui des chevaux des mines qui, finalement, étaient des chevaux de l’agriculture nordiste de la catégorie des "Basses tailles". ce terme officiel de "Basses tailles" est toujours employé aujourd’hui dans les concours de nos Trait de Nord.
Traits en Savoie : Avez vous été le témoin plus ou moins proche de ces chevaux des mines ?
Marcel Mavré : Même si j’ai vécu 19 ans dans les faubourgs d’Arras, ville située à plus ou moins 15 km du bassin minier lensois, mes connaissances sur l’emploi du cheval dans les mines sont minces. J’ai cependant vu ces chevaux dans ma jeunesse.
Fréquemment, adolescents de fraîche date, nous étions quatre ou cinq jeunes garçons à faire beaucoup de vélo sur les routes de campagne des environs d’Arras. Un jour d’après le 14 juillet 1949 ou 1950 nous nous rendons en terre canadienne à Vimy (1).
© Collection Yves Paquette
Du pied du gigantesque monument dédié aux soldats canadiens, nous dominons le bassin minier lensois tout proche avec ses innombrables terrils à perte de vue...
Une longue descente sinueuse nous fait traverser des petits champs cultivés et de vertes pâtures avant d’atteindre le Bassin houiller.
Vers Givenchy-en-Gohelle, nous sommes surpris d’apercevoir dans un pré, aux portes du pays minier, de solides et courts Trait du Nord paissants tranquillement pendant que deux ou trois hommes passaient le licol à quelques uns. Nous étions surpris de voir en plein mois de juillet des chevaux agricoles être en "vacances". Nous freinons et stoppons près de la barrière où un aide se tient ; les palefreniers , arrivants près de la route, nous expliquent très aimablement que ce sont là des chevaux Bretons, Traits du Nord et Ardennais des fosses d’Avion, Lens et Liévin au repos pour quelques jours ; ceux qu’ils viennent de prendre vont retourner au fond pour 15 jours à 3 semaines où ils tireront à nouveau les berlines de charbon.
Quelle surprise pour les gamins de 15 ans que nous sommes d’apprendre cela. Surtout que nous cotoyons tous les jours les enfants de mineurs
Avec eux nous nous entretenions plus de cinéma, du sport et des matchs du fameux R.C. Lens que des chevaux mineurs dont nous pensions tous qu’ils descendaient une fois pour toute, devenaient aveugles et puis terminaient leur existence en croupissant au fond de galeries sans lumière. Le palefrenier qui avait l’air d’être le chef nous fait savoir qu’en 1948 et ça depuis les années 1920, les chevaux tractionneurs des Charbonnages de France (2) descendaient et remontaient régulièrement par les ascenceurs. Un bon Trait du Nord, un bon Ardennais ou un bon Breton coûtait cher à l’achat et devait être bien nourri, bien soigné ; le service vétérinaire des mines veillait aux soins, Ses membres étaient sévères et sanctionnaient les conducteurs de chevaux qui ne respectaient pas les règles strictes édictées par les Charbonnages (...) Nous sommes stupéfaits , car tous nous pensions que les chevaux mineurs avaient toujours les mêmes conditions de vie que les malheureux équidés dont Zola décrit l’existence dans Germinal."
Traits en Savoie : Merci Marcel Mavré.
Marcel Mavré est membre de l’Association des Ecrivains et Artistes Paysans.
Il est l’auteur de plusieurs livres parmi lesquels "Attelages et attelées" Editions Campagne et compagnie,Paris 2011, "Les grandes attelées" Editions Lavauzelle,Paris 1998 et en collaboration avec Etienne Peticlerc de "Chevaux de trait d’hier et d’aujourd’hui" Editions Campagne et compagie 2011.
A suivre.
(1) Voir le lien versVimy.
(2) La création des Charbonnages de France résultera de la nationalisation, en 1946, de la plupart des mines Françaises.
Reproduction des photos et textes strictement interdite sans autorisation.
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