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Est-ce ainsi que les hommes (et les chevaux) vivent ? 2ème partie. Les chevaux des mines. (15)

D 7 octobre 2013     H 09:42     A Traitgenevois     C 0 messages


Le traitement des chevaux.
 
Les chevaux vont souvent subir par contrecoup les contraintes auxquelles sont soumis les mineurs.
Au début de l’exploitation des équidés au fond, le soucis d’un bon traitement des animaux ne semble pas avoir été particulièrement pris en compte par les compagnies les chevaux étant dans l’ensemble de peu de valeur commerciale.
Les mineurs, souvent issus du monde agricole, n’avaient pas pour les équidés une attention particulière.


Pour les mineurs, le cheval est avant tout un moyen qui leur permet d’extraire le charbon de la galerie. Dans les périodes où la pression du rendement se fera plus forte, le mineur reportera ces exigences sur le cheval.
Malheur à l’animal qui refuse de marcher ; le rendement va s’en trouver affecté et par là même le salaire de l’ouvrier. Mais la hiérarchie veille également au respect des rendements. Ce sera encore plus aigu après le premier conflit mondial lorsqu’il s’agira de reconstruire le pays et d’intensifier la production et au moment de la crise économique de 1929.
La pression exercée par les directions sur les mineurs rejaillira souvent sur l’animal, dernier maillon de la chaîne hiérarchique.
La Loi Durafour qui institue en 1919 la journée de 8 heures au fond provoquera un accroissement des rendements demandés par les compagnies minières afin de compenser l’heure de travail perdue. Et les chevaux, comme les hommes, feront les frais de cet état de fait.

3 postes de huit heures seront souvent mis en place. Le nombre de mineurs ira en augmentant. En conséquence, le volume de charbon s’accroissant, les chevaux auront à tirer des convois avec un nombre de berline plus important. La durée de leur journée sera allongée parfois bien au delà du raisonnable. Tout cela au détriment du bien-être et de la santé des uns et des autres.

 
André De Bruyn dans son ouvrage " Anciennes Houillères de la Région liégeoise" (1) décrit des scènes de cruauté absolument atroces envers les chevaux dont il fut le témoins dans les années 1930.
La cause de ces actes, outre l’incompétence, la bêtise ou le sadisme de certains, semble avoir eu le plus souvent pour origine les très mauvaises conditions de travail d’une part et le laxisme de l’encadrement d’autre part.
L’auteur pointe la responsabilité des compagnies minières à travers un sous équipement trop souvent fatal aux hommes comme aux chevaux.
 
 
Pour être honnête il souligne, comme en contre-point, la bonne tenue des chevaux et les soins attentifs qui leur sont prodigués dans plusieurs charbonnages de la région liégeoise.
Les mauvais traitements ne sont donc pas une fatalité industrielle.
 
Les mines françaises ne sont malheureusement pas en reste et de nombreux scandales émailleront la pratique des compagnies : chevaux travaillant bien au delà de leurs forces et transformés en véritable squelettes, écuries insalubres etc...
Certains meneurs rendront responsables leurs chevaux de leurs difficultés à les faire travailler correctement. mais comme le disait le Docteur vétérinaire Ernest Boissier "Les vices de chevaux dépendent souvent de ceux qui les dressent".
 
Dans son ouvrage de 1895 il ne se prive pas d’écrire " On peut affirmer, sans exagération, que les maîtres-mineurs sont les ennemis-nés des chevaux. ils ne se gênent pas, d’ailleurs, pour déclarer qu’ils les considèrent comme des machines, et s’en servent en conséquence"
Il ajoute pour bien enfoncer le clou " Eh bien ! non le cheval n’est pas une machine dans le sens que vous attachez à ce mot. c’est un moteur vivant, un moteur animé, dont les forces ont des bornes..." (2)
Il est bien évident que le type de travail et les conditions dans lesquelles il s’exerce auront de grandes répercussions sur le bien-être des équidés. Ernest Boissier insiste sur l’attention qui doit être apportée à la conduite des chevaux.
Il préconise de conserver le même charretier pour un même cheval. L’accoutumance de l’un à l’autre donnant la plupart du temps les meilleurs résultats.
Il insiste également sur la nécessité pour une compagnie d’avoir des chevaux de relais pour pallier aux blessures ou maladies qui surviennent immanquablement et ainsi remplacer l’équidé mis au repos. Une proportion de un cheval de relais pour vingt chevaux de service lui semble justifiée. (2)
Malheureusement ces dispositions de bon sens ne seront pas toujours respectées. Certaines compagnies travailleront avec une cavalerie en sous effectif chronique, ce qui accroitra la charge de travail des chevaux et la peine des mineurs. Une situation qui sera dénoncée par les délégués mineurs et certains ingénieurs de fosse avec des résultats mitigés.
 
Les sociétés protectrices des animaux finiront par s’alarmer de cet état de fait.
De nombreuses démarches seront entreprises, tant vers les autorités politiques du pays que vers les compagnies minières.
La photo 1 nous donne à voir une position très ambigüe , pour ne pas dire plus, des pouvoirs publics de l’époque.
 
La situation évoluera lentement sous la pression des sociétés de protection des animaux et de l’opinion publique. Les compagnies vont prendre conscience que leurs chevaux représentent un capital à préserver.
La force de travail de ces animaux est de plus en plus indispensable au fond.Les indisponibilités que ce soit pour des mauvais traitements ou des soins négligés seront de moins en moins tolérées par les service vétérinaires des compagnies.
Celles-ci vont donc mettre en place des règlements concernant une bonne utilisation des équidés et les soins à leur apporter.
Chevaux au repos à St Etienne. Carte postale postée à Paris en 1905.© Collection Yves Paquette.
 
Soucieuses de garder leur force de travail intacte, les compagnies minières organiseront, comme nous l’avons vu, la mise au pré de leur cavalerie.
 
Il ne faudrait pas conclure de ce qui précède que les mauvais traitements furent la règle.
Les situations sont contrastées selon les époques et les compagnies observées.
Des différences de traitement des équidés peuvent même varier d’une équipe à une autre.
Les témoignages sont souvent contradictoires.
La réalité se dérobe et les témoins se font moins nombreux.
Restent les écrits, eux aussi sujets à controverses, pour essayer d’appréhender les relations des hommes et de animaux.
Fort heureusement le cheval et son conducteur tissèrent souvent des liens dans le travail.
La présence du cheval , dans ce monde minéral, apportait une touche vivante.
Des divers témoignages il ressort que les chevaux, sauf situation exceptionnelle, furent plutôt bien traités dans les périodes les plus proches de nous.
Ainsi, Raymond Caron, dont nous avons parlé au début de ces articles, partageait son "briquet" (le casse-croute) avec son cheval dans une sorte de connivence entre travailleurs du fond.
Henri Raimbaut, poète-mineur rendra hommage à ces compagnons de misère. (3)

"Il est noir, brave cheval
En galére au pied de la taille
Tirant les rames de charbon
Ca fait dix ans qu’il est au fond

La poussière, plein de sueur
Obscurité et la chaleur
Une existence pleine de peines
A charrier l’charbon de la veine

Dans tes yeux, une clarté
La lampe du "meneu d’bidet"
Une douceur du compagnon
Te v’là reparti pour les fronts

Quand il tire la rame
Et qui compte de tête
Une berline de plus
Le voila qui s’arrête

Pauvre cheval dans la misère
Pour le mineur tu es un frère

Parfois tu fermes les yeux
Tu dois songer aux jours heureux
Où tu étais dans la prairie
Au grand soleil, un paradis

Nous te savons condamné
Pourtant tu ne l’as pas mérité"

 
 
Les maladies et les blessures.
 

Le plus vieux témoignage que j’ai pu retrouver concernant l’état sanitaire des chevaux des mines date de 1836. Il émane de M.Gervoix, ingénieur des mines et se rapporte aux exploitations de St Etienne et de Rive-de-Gier.
"On ne fait sortir les chevaux de la mine que quand leur santé l’exige. Leur écurie est placée dans le voisinage du puits à côté du chemin d’air. Ils passent ainsi plusieurs années de suite et ils y deviennent presque toujours plus gras et plus beaux ; seulement leur vue s’affaiblit, ils sont plus sujets à la morve surtout quand ils sont soumis à des changements brusques de température. L’ humidité du sol tend aussi à ulcérer leurs pieds aussi il convient, comme on l’a fait à Côte-Thiolière, d’établir un plancher sur le sol de leur écurie. Ces animaux deviennent d’ailleurs dans les mines d’une intelligence et d’une docilité remarquables" (4)

Les chevaux ne sont introduits au fond que depuis 15 ans. Cet ingénieur fait-il preuve d’un optimisme excessif sur certains points ou décrit-il fidèlement la situation qu’il a pu observer ? Difficile à dire.
Les chevaux auront à souffrir des conditions extrêmes dans lesquelles ils travaillent.
L’étroitesse de certaines galeries leur occasionneront blessures et écorchures.
Les soutènements et les portes basses les blesseront à la tête ou au garrot.
Les croisements entre convois, dans l’obscurité, seront responsables de blessures provoquées par les berlines métalliques ou les parois.
 
En 1902 une étude portant sur 541 chevaux des mines du Pas-de-Calais révèle que sur cet effectif, 20 sont morts prématurément : 4 d’accidents, 7 de coliques, 6 d’épuisement et 3 de maladies. Un dernier est mort de vieillesse.(5)
 
En 1926 le Docteur Delleau écrit "Les coliques sont fréquentes : 35% des cas de mortalité chez les chevaux des mines leur sont imputables"
La cause principale de ces coliques est une reprise du travail prématurée après la prise de nourriture.
Les blessures par frottement des pièces du harnais résultent la plupart du temps d’un mauvais entretien de l’équidé, d’un mauvais entretien du matériel ou d’un ajustement hasardeux dû à la maigreur de l’animal surexploité.(6)
 
Le même Docteur Delleau rapporte les taux de perte de chevaux dans une même compagnie.
1921 : 0.81% de l’effectif.
1922 : 2.65%
1923 : 0.95%
1924 : 1.87%
Pour l’année 1924, les causes des pertes s’établissent comme suit :
1 péritonite due à un coup.
2 fractures de la colonne vertébrale.
1 hémorragie interne due à un effort de tirage.
2 torsions intestinales.
1 congestion intestinale.
1 pneumonie double.
 
 
Certaines maladies, plus que d’autres, guettent le cheval de mine.
Le Crapaud, une affection du pied qui se signale par une inflammation chronique de la membrane tégumentaire sous-ongulée. Elle est principalement déclenchée, dans les mines, par un mauvais entretien de galeries et /ou des écuries. Un sol laissé à l’abandon ou stagnent l’humidité et les urines en est en partie responsable.
 
Le Javard cutané est une gangrène qui attaque principalement le paturon ou la couronne. Cette affection est elle aussi la cause d’un mauvais entretien, galeries boueuses et écuries infectées par le purin.
 
 
Les seimes affectent souvent les sabots des équidés. Le cause en est une nouvelle fois l’état des sols. L’alternance du sec et de l’humidité, les divers obstacles qui encombrent les voies, les efforts au démarrage ou les glissades sur les rails sont autant de raisons qui expliquent de la détérioration des sabots. Le docteur vétérinaire Ernest Boissier préconise un graissage des pieds une à deux fois par jour et une conduite attentive de la part du meneur.
 
En 1895 il relève un autre fléau qui menace les équidés :  " il ne faut pas oublier que les clous de rue occasionnent des blessures très graves, quelquefois mortelles, et que c’est certainement, de toutes les maladies des chevaux de mine, celle qui fournit à l’infirmerie le contingent le plus nombreux". (2)
 
Les courants d’air et les changements de température provoquent pneumonies et pleurésies.
 
D’autres maladies se déclaraient également au fond : la morve, la gale, le gourme...Le tétanos semble quant à lui avoir été extrêmement rare.
La concentration des chevaux dans les fosses et la promiscuité favorisaient la propagation des maladies. Aussi les mesures de soins et d’isolement devaient être prises très rapidement par le service vétérinaire.
Les chevaux malades compromettaient gravement la production.
 
En cas de maladies contagieuses les écuries étaient désinfectées soigneusement.
Il faut également noter que l’entretien de ces écuries ne semble pas avoir été de tout temps irréprochable.
Dans son ouvrage " Point de vue de l’animal : Une autre version de l’histoire", Eric Baratay (7) indique que trop souvent la paille fut remplacée par du mauvais foin comme litière. Cette manière de faire occasionnait moins de manutentions que la paille et abaissait ainsi les coûts.
 
En fin de compte un des seuls "avantages" que le cheval rencontrera au fond des mines sera l’absence de mouches et de taons mais il devra subir la présence de cloportes et autres blattes.
Il y côtoiera souris et rats qui lui disputeront parfois son repas.
La tolérance vis à vis de ces derniers est controversée. Ils pouvaient bien entendu occasionner des dégâts, par contre ils nettoyaient la mines des détritus qui s’y trouvaient. Vivants dans les boiseries, leur chute du toit des galeries indiquait la présence de grisou.
 


 
 La fin du service au fond.
 
Malheureusement, cette fin rimera souvent avec boucherie.
En cas d’inaptitude au travail dans les galeries, les chevaux pouvaient être affectés à des travaux de surface.
3
Les chevaux achetés vers 6 ans resteront, s’il n’ont pas un accident ou une maladie, généralement au travail jusque vers leurs 20 ans. La moyenne de temps d’utilisation se situant environ autour de dix ans.
A ce moment ils seront bons pour la réforme.
Le sort du cheval Emir est plus enviable que celui des deux équidés ci-dessus. Il n’ira pas à la boucherie en fin de service. Photos Musée de La Machine.
 
Les plus chanceux iront terminer leurs jours dans une exploitation agricole voisine.
Les autres seront vendus à la boucherie.

Le développement de l’hippophagie de la fin du 19ème siècle jusqu’au pic de consommation des années 1950, incite à la revente à la boucherie plutôt qu’à des agriculteurs.

Les compagnies étant avant tout des entreprises industrielles voulant dégager des bénéfices,beaucoup d’équidés seront ainsi sacrifiés.

Piteuse fin pour ces animaux qui auront passé leur vie au service des humains.

 


(1) Anciennes Houillères de la Région liégeoise. André De Bruyn. Editions Dricot. 1989.
(2) Mémoires et compte-rendus de la société scientifique et littéraire d’Alais.
 Alais 1895.E. Boissier.

(3) Cheval de fond. Henri Raimbaut. Recueil de poésie.

(4) Annale des mines MÉMOIRE Sur le transport intérieur dans les mines de houille de Saint Etienne et de Rive de Gier Par M GERVOY. Ingénieur des mines PARIS CHEZ CARILIAN GOEURY.ÉDITEUR LIBRAIRE. 1836

(5) Musée de La Machine.
(6) Du cheval de mine. André Deleau de la faculté de médecine de Paris. Lyon. Imprimerie Bosc frères et Riod. 1926.
(7) " Point de vue de l’animal : Une autre version de l’histoire", Eric Baratay . Editions du Seuil. Mars 2012.
(8) Le cheval à Paris. Ghislaine Bouchet. Librairie Droz S.A. Genève-Paris. 1993.

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Les cartes postales du portfolio sont issues de la collection de Mr Yves Paquette.

Portfolio

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  • 02 . Sculpture Le vieux cheval de mine par Constantin Meunier peintre et (...)
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