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L’organisation : des chevaux et des hommes. Les chevaux des mines (9).

D 25 mars 2013     H 10:18     A Traitgenevois     C 0 messages


L’organisation du travail va reposer sur un aménagement le plus rigoureux possible du temps et sur une utilisation rationnelle des moyens. Les ingénieurs devaient déterminer les horaires des équipes de mineurs et par là même ceux des chevaux.
 
Selon les mines, le travail s’effectue à deux ou trois postes.
En 1870, à La Machine, la durée du travail est de 10 heures. une équipe commence à 6 heures du matin, l’autre à 16 heures.
Un troisième poste chargé de l’entretien descendait vers minuit pour remonter huit heures plus tard. C’est une équipe au travail particulièrement dangereux. La loi du 29 juin 1905 instaure la journée de 8 heures pour les piqueurs, mais ne sera appliquée qu’à partir de 1911 Encore que, la loi ne donnant pas de précisions, les piqueurs furent contraints de fournir 8 heures de travail effectif, c’est à dire sur le front de taille, ce qui excluait le temps de la descente, le temps pour se rendre sur le poste...(1)
 
Dans les mines de Rive-de-Gier, au milieu du 19ème siècle, les piqueurs arrivent sur les lieux de leur travail à minuit, à 4 heures du matin arrivent les traîneurs et les remplisseurs de bennes.(2)
 
Chargement pour le boisage des galeries. Le cheval était utilisé pour tirer tout ce qui servait à l’exploitation et pas seulement le charbon. © Collection Yves Paquette.
A partir de 16 heures ce sont les boiseurs, les remblayeurs et les réparateurs qui entrent en scène.
Dans la circonscription de Valencienne, après le première guerre mondiale, il y avait le plus souvent deux postes de charbon : un de 6h à 14h et l’autre de 14h à 22h et un poste de réparation de 22h à 6h. C’est un horaire que l’on va retrouver souvent, par exemple dans les mines du plateau Matheysin (La Motte d’Aveillans, Le Villaret...).
 
 
Les chevaux vont devoir suivre ces horaires ; en principe un cheval, âne ou mulet ne doit pas faire plus d’un poste ; mais la lecture des document nous indique que ce n’est pas toujours le cas (Photo1).
Un cheval blessé est indisponible ? Il faut le remplacer par un autre et dans ce cas tant pis s’il a déjà fait un poste.
D’autres raisons sont également à mettre en avant. Tel meneur n’aime pas le cheval qui lui est attribué et cherche un prétexte pour pouvoir utiliser un autre cheval qui lui à déjà fait un poste.
Afin d’abaisser le prix de revient du roulage, et par la même celui charbon extrait par leur section, certains chefs mineurs réduisent le nombre de chevaux en dessous du seuil nécessaire et surmènent ceux qui restent. (3)
Gard, 1944. Note du magasinier de la mine. © Collection Yves Paquette.
Comme on peut le voir sur cette note, des circonstances extérieures aux mines auront bien entendu également une forte incidence sur le traitement des chevaux.
 

Les mines laissent apparaître des situations différentes. Si certaines ont des effectifs d’équidés relativement réduits au regard du travail à fournir, d’autres peuvent se permettre d’organiser le roulement de leur cavalerie.

 
Assujettis aux rythmes imposés par les hommes, les chevaux profiteront aussi des avantages arrachés par ceux-ci. A partir de 1936, eux aussi auront droit aux deux semaines de vacances votées par le gouvernement du front populaire. Ce sera une des occasions de leur retour à la surface. Mais, selon les témoignages d’anciens mineurs, ce ne fut pas toujours le cas.
 
La distribution des tâches des chevaux est répertoriée sur des cahiers. Le travail est réparti de manière précise selon les différents postes de la mine, que ce soit au fond ou sur le carreau. Chaque poste se voit allouer un nombre de chevaux qui se veut le plus précis possible ; le travail est évalué au quart de cheval près.(Photo2)
Chaque cheval est suivi de manière journalière et son travail consigné. (Photo 3).
 
La conduite des chevaux est encadrée par des règlements. Les manquements sont réprimés par des amendes. (Photo 4).
 
Sylvain Post nous rapporte "

un florilège d’amendes infligées en 1894, pour fautes de conduite par la compagnie des mines de Vicoigne et de Nœux-les-Mines :

 
 « Fosse n° 1. Deux francs d’amende au conducteur du cheval « Notaire » pour manque de soins et de précautions. Ce cheval est atteint de boiterie grave par suite de chute due à un excès de fatigue ou à un obstacle qu’il aura rencontré sur la voie et que le conducteur n’aura pas su écarter.
 

Un franc d’amende à M., conducteur du cheval « Zut » et à M. J ; , conducteur du cheval « Vermouth », pour avoir fait traîner à ces chevaux quinze berlines au lieu de dix ou douze, et avoir accroché des chaînes à leur collier, malgré la défense qui en a été faite. Il est en effet aisé de comprendre que ces surcharges blessent les épaules et les écorchent.

 

 Fosse n° 2. Deux francs d’amende au conducteur du cheval « Bourrin » qu’on a laissé marcher, étant déferré, ce qui a occasionné une boiterie du pied.

 

 Trois francs d’amende au conducteur du cheval « Cassis », pour avoir abandonné son cheval, qui s’est sauvé et s’est blessé grièvement le front contre le toit.

 

Fosse n° 4. Deux francs d’amende au conducteur du cheval « Papillon », blessé à la tête.

 

 Fosse n° 7. Deux francs d’amende à M.V. pour avoir fait traîner à son cheval « Paravent » 17 berlines au lieu de 12 ou 10.

 

 Deux francs d’amende au conducteur du cheval « Alpha », pour avoir forcé ce cheval, ce qui a occasionné une boiterie du membre postérieur gauche.

 
Nous vous prions de bien vouloir, en outre, infliger des blâmes sévères aux palefreniers-chefs, porions et chefs-porions, dans le service desquels ces accidents sont arrivés, et de donner de nouveau des instructions à tout le personnel afin que les chevaux soient traités avec plus de douceur, plus de précautions et plus d’intelligence, de façon à éviter tous ces accidents qui finissent par constituer des pertes ». (4)
 
Cependant nous verrons plus loin qu’il est un peu facile de n’incriminer que les mineurs comme responsables de tels manquements.
Il y a aussi des mines qui récompensent le bon traitement des chevaux. Tout n’est donc ni tout noir ni tout blanc.
 
La relation que tisseront hommes et chevaux variera selon les époques et les compagnies.
Un vieux mineur du bassin de La Mure nous contait que le matin, au moment du briquet, il partageait son pain avec son cheval après l’avoir trempé dans son vin rouge.
D’autres partageaient leur tabac à chiquer.
Certains chevaux entretenaient avec leur meneur une véritable complicité dans le travail. C’était le cas de Max.
 

Dessin Jacques Urek (4). © Sylvain Post.
 
Jacques Urek raconte son histoire au puits Vouters à Merlebach.
"...Une fois Max m’a surpris ; j’ai eu une peur bleue : j’étais en train de casser la croûte et le bruit du ventilateur m’empêchait d’entendre autre chose, quand soudain une tête est passée sur mon épaule...Le cheval a happé le "briquet" et l’a terminé tranquillement.
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"Max était le plus intelligent. Quand, sur un chantier, on faisait du béton, il était plus facile de vider la berline en la couchant sur le côté, hors de ses rails. Le cheval comprenait la manœuvre effectuée au moyen des chaînes. Et si à la place des chaînes , on lui disait de pousser la berline avec son arrière train, il s’exécutait de bonne grâce.On arrivait ainsi à lui faire culbuter des berlines de gravier et de ciment pour le bétonnage. Il réagissait au centimètre près. Un vrai phénomène" (4).
 
Le cheval, comme sur la photo 5 le cheval Négro, devient un compagnon important que l’on présente à ses amis ou à sa famille.
Souvent il est aussi la principale compagnie du charretier au fond de la mine. Si l’entente est bonne, il aidera le jeune galibot à supporter les ténèbres de la mine.
Beaucoup de mineurs souligneront la parfaite adaptation de leur cheval à son travail.
De telle sorte qu’il n’y a pratiquement plus d’ordres à lui donner. Il connait sont travail.
Le poste terminé, bien que ce soit interdit, il regagnera son écurie tout seul.
 
 
Cette entente n’était pas toujours la règle on s’en doute. La dureté du travail rejaillissait sur les rapports hommes/chevaux. Certains chevaux étaient dociles et bien adaptés à leur travail, d’autres, pour diverses raisons, posaient problème.
Claude Virot dans son ouvrage " Chevaux de la mine, anges ou démons" fait le récit de son travail au fond avec des chevaux. Et si plusieurs d’entre eux lui donnèrent satisfaction, un autre lui causa de nombreux soucis en raison d’un caractère difficile.(8)
 
Les chevaux comptaient-ils les berlines ? Cette question a fait couler beaucoup d’encre et de salive !
Et le fait est que de nombreux témoignages rapportent que tel cheval se refusait à tirer plus que son lot de wagonnets.
En recoupant les dires de plusieurs meneurs, il semble bien que le cheval finissait par mémoriser le nombre de claquements que faisaient les chaînes entre berlines en se tendant au démarrage.
Certains ont alors pensé à induire leurs animaux en erreur en protégeant le métal avec des chiffons pour rendre le départ silencieux. Et il semble, à ce qu’ils disent, que ce stratagème ait fonctionné.

Au fil des épopques, le cheval va occuper une place importante dans la vie des mineurs. Nous verrons dans un autre article les relations, parfois difficiles, qui se sont tissées au cours du temps.

 
A suivre.
 
(1) L’histoire de la mine de La Machine-Mémoire de la mine-Etudes et documents N°11-2008-Conseil général de la Nièvre.
 (2) Historique de mines de Rive-de-Gier- M.A. Meugy- Carillan-Goeury et Dalmont- Paris 1848.
(3) Mémoires et compte-rendus de la société scientifique et littéraire d’Alais. Alais 1895. Ernest Boissier.
(4)(1)D’après le livre "Les chevaux de mine retrouvés" de Sylvain Post (avec la participation du docteur Pascale Kientz-Lahner et de Jacques Urek), disponible en libraire, sur commande aux Ed. De Borée Diffusion.
(5) L’histoire de la mine de La Machine. La Machine, un brassage des cultures par François Martin. Études et documents. Conseil général de la Nièvre. 2008.
(6) Le bassin houiller de La Mure.Clovis-Henri Angelier. Revue de géographie alpine
 Année 1940.
(7) Centre historique minier/Lewarde.
(8) Claude Virot. " Chevaux de la mine, anges ou démons". Collection "Mémoire de la mine et des mineurs du bassin de Blanzy". Association La mine et le hommes .Blanzy. 
Reproduction des photos et textes strictement interdite sans autorisation.
 

Les cartes postales du portfolio sont issues de la collection de Mr Yves Paquette.

Portfolio

  • 01 . Mine de Cessous. Quant il manque des animaux ceux-ci doivent faire (...)
  • 02 . Répartition des chevaux selon les postes à La Machine (Nièvre). Musée de (...)
  • 03 . Description du travail de chaque cheval aux mines de La Machine (...)
  • 04 . Réglement des mines d'Epinac. © Collection Yves Paquette.
  • 05 . Sur cette carte la faible hauteur des galeries est bien visible. La (...)
  • 06 . La tenue du mineur à la fin du 19ème siècle et au début du 20ème est en (...)
  • 07 . Très belle carte colorisée. Ici les mineurs sont vétus de manière (...)