Traits en Savoie
Vous êtes ici : Accueil » Patrimoine » Les chevaux de halage. » Sur les canaux et rivières, le peuple de l’eau (3ème partie). Les chevaux de (...)

Sur les canaux et rivières, le peuple de l’eau (3ème partie). Les chevaux de halage (12).

D 30 août 2015     H 20:48     A Traitgenevois     C 1 messages


agrandir

C’est une lapalissade, mais une rivière n’est pas un canal. Elle diffère de ce dernier sur de nombreux points.
Voies d’eau naturelles et voies d’eau artificielles ont des caractéristiques qui avaient une grande incidence sur la navigation des bateaux halés.
La première qu vient à l’esprit est le courant, quasi absent sur les canaux.
Une deuxième est un niveau d’eau qui n’est pas constant.
MM Tourasse et Mellet indiquent dans leur ouvrage (1) les différences de niveau d’eau de la Seine.

En 1822 il n’y a pas eu dans la rivière entre Paris et Rouen un tirant d’eau d’un mètre pendant 95 jours ; le tirant d’eau a été entre 1m,1m5o et 2m pendant 76 jours, et au dessus de 2m pendant 91 jours

Beaucoup d’autre facteurs doivent être pris en considération dans l’appréciation d’un cours d’eau destiné à la navigation : largeur variable de la voie d’eau, bancs de sable, affluents, irrégularité des fonds...
Des épaves, herbiers, branches etc. tapissent les fonds et étaient autant de périls potentiels qui pesaient sur la sécurité des chevaux de halage.
Crues et étiage sont les deux points extrêmes du niveau d’eau dans un fleuve ou une rivière. Les crues dégradent l’état des chemins de halage et par endroit rendent très problématiques leur utilisation.
Le manque d’eau rend difficile, voire impossible, la navigation sur tout ou partie de la voie d’eau.
Le niveau de l’eau et le courant sont également dépendants de l’endroit où l’on se trouve par rapport à la source.
Ainsi un cours d’eau d’importance sera considéré depuis sa source "non navigable et non flottable" puis "navigable et flottable" selon la loi de 1898.
Flottable et navigable signifie que des radeaux et de bateaux peuvent s’y déplacer.
Les cours d’eau ou sections de cours d’eau où se pratiquait le flottage à buches perdues rentraient dans la catégorie "non navigable et non flottable".
Du point de vue qui nous intéresse, la partie supérieure des cours d’eau pouvait être flottable mais ne permettre que la descente. La remontée, en raison de la pente, n’était pas ou difficilement praticable.
Radeau du Haut-Rhône. Maquette de Mr Jean Burgod. Exposée à La Maison du Haut-Rhône à Seyssel (74).
Radeaux, trains de flottage... naviguaient sur cette partie des rivières.

Ces trains de flottage furent employés sur certaines rivières de nos régions.
Arrêtons nous un instant sur le travail des radeliers qui descendaient les bois du massif Jurassien vers les contrées avales où ils seraient utilisés.
Ce métier de radelier était extrêmement dangereux. Les radeaux devaient s’engager dans des rapides fréquents sur ces cours d’eau. Tombé à l’eau, le radelier risquait la mort par noyade, en se fracassant sur les rochers ou encore du fait d’eaux parfois glacées.
Démonstration par la Confrérie Saint Nicolas des Radeliers de la Loue. Photo A.D.
Les principales rivières jurassiennes utilisées pour le flottage des bois étaient la Bienne, le Doubs et la Loue.
Les chevaux étaient amenés à prêter leur concours pour tracter les radeaux sur certains tronçons des cours d’eau.
La Savoie pratiquait elle aussi le transport du bois sur les rivières. Ce bois était en provenance du Val d’Arly et du Beaufortain. Le flottage s’effectuait sur l’Arly et le Doron. Puis le bois parvenait, toujours par flottage, jusque à Albertville.
Là, il était assemblé en radeaux et descendait l’Isère entre Albertville et Grenoble.
Des bateaux naviguaient aussi sur les parties flottables des cours d’eau à ceci près qu’ils étaient de construction grossière, sans qualité nautique et qu’ils étaient déchirés (c’est à dire détruits en langage fluvial) à leur arrivée à destination. Leur construction était peu coûteuse et leur bois vendu lors du déchirage.
Courpet. Photo issue du blog Histoire et patrimoine des rivières et canaux.
Ce fut le lot de nombreuses sapines, toues, rambertes et autres courpets.

Dans sa partie moyenne et basse, la rivière ou le fleuve va devenir navigable dans les deux sens.
Mais un dernier aspect à considérer, et pas des moindres, est la dissymétrie motrice des cours d’eau. Si, selon le courant, il est possible de les descendre à gré d’eau, il faudra obligatoirement recourir au halage pour leur remonte.
La descente et la remontée d’un cours d’eau ne vont pas nécessiter les mêmes énergies pour la navigation et par conséquent ne mobiliseront pas les mêmes besoins en traction.
De cette dissymétrie vont naître des contraintes qui vont peser autant sur la traction animale que sur la construction des bateaux ou sur les marchandises transportées.
Certains bateaux, nous venons de le voir, ne faisaient la plupart du temps que la descente. C’est le cas des rambertes dont le nom dérive de Saint-Rambert-sur-Loire où elles étaient construites. Elles transportaient principalement le charbon du Forez vers l’aval. Des centaines de millier de ces embarcations furent construites entre 1704 et 1860.
Passage du saut du Perron, entre Saint-Maurice-sur-Loire et Villerest, par une ramberte au XIXe siècle. Dessin et légende issus du blog Histoire et patrimoine des rivières et canaux.
Ces bateaux descendaient au fil de l’eau, d’Andrézieux à Roanne par la Loire en ce qui concerne les rambertes.
Sur les fleuves et rivières où la remontée est possible, l’utilisation des chevaux ou des bœufs devient indispensable. Les attelages sont d’autant plus importants que le courant qui s’oppose à la remontée est fort et que les convois sont imposants.
Le temps mis pour un même parcours est très différent selon qu’il s’agit de la descente ou de la remonte. Sur le Rhône, entre Arles et Lyon, il faut par exemple 3 jours à la décize* et 30 à la remonte .
Pour ce voyage à contre-courant, les bateaux se devaient de posséder quelques qualités nautiques. Ces embarcations étaient de fabrication plus soignée et donc plus coûteuse que celles qui ne faisaient qu’un voyage.
Il est bien évident dans ces conditions que le montant des dépenses pour un même parcours sera très différent qu’il s’agisse de la descente ou de la remonte.
En conséquence seront acheminés vers l’aval où ils seront utilisés, dans la mesure du possible et des besoins, des matériaux de base de faible valeur qui ne supporteraient mal un surcoût important dû au transport (pierre, bois, charbon, production agricole...). Le voyage se fera à gré d’eau et donc avec une dépense de transport réduite au minimum.
A l’inverse, à la remonte seront transportées de manière privilégiée des marchandises de grande valeur pour lesquelles le prix du transport ne constituera pas un handicap financier insurmontable.
Les frais inhérents à ce halage à contre-courant vont souvent se révéler élevés et ne pourront être supportés que par des marchandises indispensables, rares ou à forte valeur ajoutée (sel, objets manufacturés...) (2).
Selon les cours d’eau, les entreprises de halage étaient de grande ampleur et de ce fait fort coûteuses. Nous le verrons sur le Rhône par exemple.
La vapeur et plus encore le rail élimineront complètement ce type de grandes entreprises de remonte.

De cette asymétrie du courant découle le système des priorités. Priorité est donnée à l’avalant en cas de croisement. Il est en effet plus facile de stopper le bateau montant que l’avalant. Dès que les chevaux sont arrêtés, le bateau montant va être ralenti voire stoppé par le courant qui s’oppose à sa marche. Un arrêt qui serait beaucoup plus difficile à maitriser pour l’avalant poussé par le flot.

Les fleuves et rivières traversent souvent de grandes villes. De nouveau vont se poser des problèmes quasi absents sur les canaux.
Les parapets qui bordent la voie d’eau en ville risquent d’user les cordes de halage par frottement. Afin de conjurer ce problème, ces parapets étaient équipés de lisses en bois ou en fer sur lesquelles glissait le tirage.
Document aimablement fourni par la boutique CPSTORY.
Restait la dangerosité des cordes qui entravaient la libre circulation sur les quais. De nombreux accidents furent à déplorer. Des dispositions furent prises à Paris avec la création d’un corps d’envergeurs-pareurs de cordes. Leur principale fonction était de parer à tout accident avec les passants, voitures et autres utilisateurs des quais et d’assurer le bon passage de la corde, d’éviter qu’elle ne se coince dans un obstacle.

Les fonctions de ces envergeurs-pareurs sont encadrées par une ordonnance de police.

5- Envergeurs pareurs de cordes pour le halage dans Paris.
Il est établi deux envergeurs pareurs de cordes pour le halage dans Paris depuis la barrière de Passy jusqu’au Pont Neuf (Ordonnance de police du 8 février 1808 art 1er). Leurs fonctions consistent à veiller à ce que les chevaux employés à remonter les bateaux soient bien dirigés ; à dégager les cordes lorsqu’elles éprouvent quelques obstacles ; à les enverger sur les ports lors du passage des bateaux ; à faire retirer les passants (Idem art 2). Il est défendu aux propriétaires des bateaux de les remonter ou faire remonter dans Paris, depuis la barrière de Passy jusqu’au Pont-Neuf, sans le concours des envergeurs-pareurs de cordes ou de l’un d eux( Idem art 3). Le salaire des envergeurs-pareurs de cordes est fixé à un franc par chaque courbe de chevaux employée à remonter les bateaux( Idem art 4). Les deux envergeurs-pareurs de cordes sont responsables de leur service. Ils s’entendent entre eux pour qu’il se fasse sans retard et avec sûreté tant pour les mariniers et leurs bateaux que pour le public (Idem art 5). Il est défendu aux envergeurs-pareurs de cordes de se faire représenter par d’autres dans leur service (Idem art 6). Il leur est aussi défendu d’ exiger un salaire plus élevé que celui fixé par la présente ordonnance (Idem art 7) (3)

Dans les villes, de nombreux ponts traversent les voies d’eau. Ce sont autant d’obstacles à la libre circulation des bateaux et au halage.
Ils provoquaient retards et encombrements.

Halage près du Château de Chaillot vers 1650. Photo issue du blog Société Historique d’Auteuil et de Passy.
Au XVIIème siècle, comme le montre l’illustration voir ci-dessus, les chevaux ne se déplaçaient pas près du rivage mais sur la partie supérieure des quais.
Pour passer sous un pont, il fallait donc décrocher les cordes et les passer sous les arches pour permettre le halage. Là encore les envergeurs-pareurs intervenaient.
En 1846, la chambre des députés débat de l’utilité d’un chemin de halage établit en contre-bas des quais de la Seine à Paris.
Extraits de l’intervention du Ministre des travaux publics.

...........................................................................................................
Je sais bien que le halage dans l’intérieur de Paris est une véritable barbarie : la remonte des chevaux attelés à des cordages qui remorquent de très lourds fardeaux, est un sujet d’inquiétude et de danger pour la circulation. Le préfet de police dans une juste sollicitude pour la sûreté de la circulation dans l’intérieur de Paris, l’a interdit en amont, et je crois qu’il s occupe de l’interdire en aval. Mais en établissant un chemin de halage nous ne l’établissons pas sur les quais de Paris ; nous ne mettons pas sur la même voie les chevaux et les passants ; nous établissons notre chemin de halage en contre bas du quai, à 4 mètres au dessous : il n’y a par conséquent aucun danger pour la circulation.
........................................................................................................................
On examine ensuite la question de savoir si des chemins de halage au pied des quais sont nécessaires pour la traversée de Paris et la question est résolue affirmativement, attendu que, lors même qu on parviendrait à créer un service de remorquage à l’aide de la vapeur le halage par la berge serait encore indispensable pour la navigation locale, le mouvement des ports et pour faciliter sur tous les points à l’entrée du fleuve.(4)

Il faudra attendre 1870 pour que les quais bas soient aménagés pour le halage. Ce qui tendrait à prouver qu’à Paris le halage n’avait pas totalement déserté les bords de la Seine.

Des chefs de pont étaient responsables du passage des bateaux sous les ponts aussi bien à la remonte qu’à la descente.
La fonction des chefs de pont est encadrée par un décret du 11 janvier 1811.

6- Service de la navigation sous les ponts.
Le service de la navigation sous les ponts de Paris est fait par deux chefs de pont. (Décret du 28 janvier 1811 art 1er) Il est défendu à tous autres de passer les bateaux sous les ponts. Sont exceptés de cette disposition les margotats bachots et double bachots( Idem art 2).


Suivent un nombre impressionnant de règles et obligations.
Extraits.

Les chefs de pont sont tenus la veille de chaque jour de lâchage et de remontage de remettre à l’inspecteur général de la navigation un état des bateaux à descendre ou à remonter le lendemain. Cet état doit indiquer les noms des marchands ou voituriers les numéros et dates des déclarations et la devise des bateaux( Idem art 5).
........................................................................................................................
Lorsque les chefs de pont ont à effectuer un lâchage sur corde, ils sont tenus d’ arborer le soir du jour précédent un drapeau au pont de la Tournelle et un autre au pont des Tuileries côté de la rive droite( Idem art 12). (3)


Et ainsi de suite sur 17 articles. Une somme de contraintes difficiles à imaginer aujourd’hui.

Ces passages donnaient lieu à la perception d’une taxe.
Taxes perçues sous les ponts de Paris (5).
Les chefs de ponts et pilotes étaient rendus nécessaires par les difficultés qu’il y avait à franchir ces ponts. Les arches des ponts étaient souvent étroites, des courants et remous agitaient le cours sous d’eau sous le pont rendant problématique le franchissement par les bateaux.
De nombreux ouvrages ne permettaient le passage que sous une seule arche. En période de basses eaux, seul un étroit chenal sous l’arche de passage offrait un tirant d’eau suffisant pour naviguer.
Les crues augmentaient les risque encourus par les mariniers. Le tirant d’air sous les ponts se réduisait de manière inquiétante à mesure que le niveau de l’eau montait. Le courant se faisait plus fort accentuant les difficultés de franchissement. Ces deux derniers paramètres pouvaient conduire à l’impossibilité pour un bateau de passer sous les arches. Cette situation existe toujours de nos jours pendant les crues.
Des travaux d’élargissement des ponts, de dragage ou de canalisation des cours d’eau permirent d’améliorer la navigation à ces points critiques.
A Paris le service des chefs de ponts sera supprimé par l’ordonnance de police du 26 septembre 1854.
L’ordonnance royale du 19 juin 1845 avait déjà mis fin au halage par les chevaux à Paris entre le pont de la Tournelle (c’est à dire à hauteur de Notre-Dame) et le Port-à-l’Anglais (Vitry). Le halage sera remplacé sur ce tronçon par un service de touage.
Paris. Toueur remontant ses bateaux de l’aval de l’ile de la Cité vers la Haute-Seine. Photo issue du blog La batellerie.
L’essor du touage et du remorquage entrainera l’abandon du halage en ville.

Les entraves à la navigation sur certaines voies d’eau amenèrent la construction de canaux latéraux. Citons la canal latéral à la Garonne, le canal latéral à la Marne et la canal latéral à la Loire.
Les rivières et fleuves furent également aménagés et passèrent sous l’appellation "rivière canalisée" : la Seine, le Rhône, le Cher, la Vilaine, l’Ille, le Lot...

A suivre.

Un certain nombre de textes et d’illustrations sont reproduits ici avec le consentement de leurs auteurs ou propriétaires. Merci de ne pas les utiliser sans autorisation.

La vignette est la reproduction d’une œuvre de Claude Delcloy.

(1) Essai sur les bateaux à vapeur appliqués à la navigation intérieure et maritime de l’Europe. Par Tourasse et F.-N. Mellet. A Paris chez Malher et compagnie. A la librairie scientifique- industrielle. Passage Dauphine. (1828-1829).
(2) Les chemins qui marchent. François Beaudouin. Les cahiers du Musée de la batellerie. N° 32. Avril 1994.
(3) Nouveau dictionnaire de police : ou, Recueil analytique et raisonné ..., Volume 2
Par Elouin. Paris. Béchet Jeune. Libraire-éditeur. Place de l’école de médecine,4. 1835.
(4) Chambre des Députés de France : procès-verbaux des séances de la chambre des députés ; Session de 1846. Paris, de l’imprimerie de A.Henry. Rue Gît-le-Cœur,8. 1846
(5) Bulletin des lois et ordonnances : publiées depuis la révolution de juillet 1830. Années 1846, 1847, et 1848.PARIS. Imprimerie et librairie administratives de Paul Dupont. Rue de Grenelle-Saint’Honoré. 55, Hôtel-des-Fermes. 1848.

Voir ICI un article sur les envergeurs-pareurs par la Société Historique d’Auteuil et de Passy

* Décize : descente sur le Rhône.

Portfolio

  • 01 . Radeau du Haut-Rhône.
  • 02 . Les radeliers de la Loue.
  • 03 . Courpet.
  • 04 . Ramberte.
  • 05 . Les dangers du halage.
  • 06 . Halage devant la Château de Chaillot.
  • 07 . Touage à Paris.
  • 08 . Le Laissez dire.

1 Messages

Un message, un commentaire ?
Qui êtes-vous ?
Votre message